Animal Collective
Merriweather Post Pavilion
- Domino Records
- 2009
Certains albums parviennent à définir presque à eux seuls la carrière d’un groupe ou d’un artiste. Depuis une vingtaine d’années, Animal Collective ne cesse d’étonner par sa capacité à pousser plus loin l’expérimentation sonore tout en maintenant une esthétique pop. Mais aucun de leurs disques n’a su marier ces deux facettes aussi bien que Merriweather Post Pavilion, qui célèbre son dixième anniversaire.
La formation originaire de Baltimore s’était déjà bâti une réputation enviable quand elle a lancé son huitième album studio en janvier 2009. Avec ses harmonies vocales dignes des Beach Boys, son côté psychédélique à la Grateful Dead et son penchant pour les sonorités inédites, la troupe faisait alors partie de la crème de l’avant-garde en matière de musique populaire. Mais le succès d’Animal Collective restait plutôt confidentiel, entre autres en raison d’un certain manque de constance d’un album à l’autre, créant l’impression d’un groupe relativement difficile à suivre.
Mais tout allait changer avec Merriweather Post Pavilion, auquel on réfère encore comme l’album « pop » d’Animal Collective, même s’il s’agit là d’un raccourci un peu trompeur. Enregistré en formule trio, sans Josh Dibb (Deakin), le disque a réussi à faire l’unanimité en sa faveur à sa sortie, Pitchfork parlant d’une version « raffinée et amplifiée de tout ce qui a défini le groupe jusque-là », tandis que Consequence of Sound criait à la « perfection psychédélique ». Seul le Rolling Stone tranchait avec son manque d’enthousiasme, accordant au groupe la note de 3,5/5. Mais bon, qui se fie vraiment au Rolling Stone pour découvrir de la nouvelle musique?
N’empêche, je trouve encore difficile de mettre en mots ce qui fait de Merriweather Post Pavilion mon album fétiche d’Animal Collective. On peut certes y voir l’œuvre la plus aboutie de la bande, comme si David Portner (Avey Tare), Noah Lennox (Panda Bear) et Brian Weitz (Geologist) étaient entrés en parfaite communion pour offrir quelque chose de supérieur à la somme de leurs talents respectifs. À l’inverse d’albums comme Centipede Hz (2012) ou Painting With (2016), que je peine parfois à écouter d’un bout à l’autre parce qu’ils vont dans tous les sens, Merriweather Post Pavilion demeure un exemple éloquent de cohérence et de cohésion.
« Comme un lagon… » : La genèse d’un son aquatique
L’histoire de Merriweather Post Pavilion a commencé à s’écrire bien avant que les gars n’entrent dans un studio du Mississippi en février 2008. D’une part, la décision de Deakin de prendre une pause après la sortie de Strawberry Jam en 2007 a obligé les autres membres d’Animal Collective à penser en termes de formule trio pour leur prochain opus. La situation n’était pas exceptionnelle pour le groupe, qui a toujours priorisé la liberté en laissant ses membres aller et venir au gré des projets. Sauf que l’absence de Deakin n’était pas anodine puisqu’il était identifié comme le guitariste du groupe. L’autre élément déterminant a été la sortie, quelques mois plus tôt, de Person Pitch, le troisième disque solo de Panda Bear, composé de sons manipulés et d’échantillonnages de toutes sortes. La combinaison de ces deux facteurs a permis à la formation de compenser l’absence de guitare (il y en a quand même un peu sur l’album) par l’utilisation inventive de sons truqués et échantillonnés.
Aujourd’hui, on salue Merriweather Post Pavilion (du nom d’une salle de spectacle du Maryland) pour l’atmosphère sous-marine qui enveloppe l’album et qui est devenue un trait récurrent chez le groupe (pensez au récent Tangerine Reef, album audiovisuel conçu pour célébrer l’Année internationale des récifs coralliens en 2018; ou encore à Eucalyptus, album solo d’Avey Tare sorti il y a deux ans). Dès le premier titre, In the Flowers, on a l’impression de se retrouver dans un monde merveilleux et fantasmagorique, résultat des sonorités électroniques magnifiées par le travail du réalisateur Ben Allen. À mi-chemin du morceau, quand le rythme explose dans une pulsation irrésistible, on a carrément l’impression que le groupe joue sous l’eau… Et c’était l’effet voulu, comme l’a expliqué Geologist en entrevue au New York Times en 2009 : « Nous avions cette idée d’être dans un lagon […] et il y a ce concert, et nous jouons sous l’eau dans le Merriweather Post Pavilion de ce lagon ».
Mais le génie d’Animal Collective, c’est d’avoir su combiner cette recherche d’une expérimentation sonore à des mélodies pop et accrocheuses, comme sur l’énergique My Girls, une allégorie naïve sur la paternité, où le protagoniste rêve essentiellement de trouver une maison convenable pour ses filles. Que dire de Summertime Clothes, portée par une pulsation presque techno, et cette phrase qu’on a envie d’entonner en chœur : « I want to walk around with you »? Mais ma préférée reste encore Brother Sport, un pur bijou de pop psychédélique et de percussions tribales.
Une occasion ratée de révolutionner la musique indie?
L’impact de Merriweather Post Pavilion a été tel que des critiques se sont interrogés à savoir si le disque marquerait un tournant dans l’histoire de l’indie. En effet, si l’album a pu propulser un groupe jusque-là confiné à la marge dans l’arène populaire, peut-être marquerait-il aussi un virage entre une musique indie axée sur les guitares et l’influence de canons comme The Smiths, les Stone Roses ou The Strokes (les trois S, comme je les appelle) vers quelque chose de plus exploratoire combinant les codes de la dance music, de l’électro d’avant-garde et de la pop alternative.
Mais ça ne s’est pas produit. En 2010, certains des albums indie les plus populaires incluaient The Suburbs d’Arcade Fire, Contra de Vampire Weekend, Innerspeaker de Tame Impala, le premier Best Coast ou encore High Violet de The National. Tous d’excellents disques que j’aime encore, mais tous ancrés dans une certaine tradition. Même Animal Collective n’a pas tenté de reproduire Merriweather Post Pavilion, se tournant vers une approche plus abrasive sur ses disques suivants. Mais au final, ce n’est peut-être pas une mauvaise chose. Après tout, c’est ce qui fait de ces quelques « figures isolées » (une Björk, un Radiohead, un Animal Collective, comme les a désignés le critique Simon Reynolds dans son ouvrage Retromania : Pop Culture’s Addiction to its Own Past, publié en 2011) de véritables « héros modernistes » : ils ne regardent jamais vers l’arrière et demeurent toujours inimitables.