Chroniques

Loud : disséquer une année record

Quand on regarde sur YouTube les chiffres des vidéos de Loud, le compte est effarant :

Nouveaux Riches : 3 millions de vues

Toutes les femmes savent danser : 3.5 millions de vues

Devenir immortel : 2 millions de vues

— 56k : 3.5 millions de vues

Hell, what a view : 1,2 million de vues

TTTTT (en ligne depuis une semaine au moment d’écrire ces lignes) : 118 000 vues

 

Loud est arrivé avec un album qui avait un nom audacieux, mais a su livrer la marchandise quand il était temps d’empiler les vues. Rajoutez à cela qu’il fait jaser à Paris et se lance dans l’aventure de remplir un Centre Bell en mai 2019. Mais qu’est-ce qui explique la réussite fulgurante du jeune homme?

Le rap, nouvelle musique pop?

Un peu à la manière du thrash métal qui a connu ses moments de gloire au début des années 90, le rap a réussi depuis quelques années à quitter les milieux marginaux pour percer la pop. C’est certainement le cas aux États-Unis où une génération de « mumble rappers » arrive avec de grosses machines. Les trois majors (Warner Music, Universal Music et Sony Music) ont flairé la bonne affaire et investissent massivement dans des artistes qui sont généralement plutôt inoffensifs comme Travis Scott, Post-Malone, Migos et compagnie, qui essentiellement adaptent les codes de la pop au hip-hop. On est très loin du rap tournée vers la parole. C’est sûr que c’est un peu bâcler le sens premier du genre, « rythm and poetry ». Disons que dans ces cas, la poésie est évacuée au profit du hook. C’est par contre plus digestible pour les radios commerciales qui préfèrent les morceaux qui environnent les 3 minutes.

Ici, peu de rappeurs se sont lancés dans cette direction. FouKi, Loud et quelques autres ont tenté cette avenue et ça donne des fruits. On peut facilement tracer des paroles entre Toutes les femmes savent danser et Shape of You d’Ed Sheeran. Pourtant ce dernier est un anglais qui fait de la pop très loin du rap. Et pourtant les deux pièces sont construites sur le même genre de rythme très contemporain et des mélodies similaires.

D’autres facteurs viennent en ligne de compte, notamment les propos proférés dans les chansons. Loud se tient loin de tout ce qui est politique ou encore controversé dans ses paroles. Ce qui ne veut pas dire pour autant que Loud est beige dans ses propos :

C’est toujours compliqué l’argent facile
Ça fait 2-3 ans que j’attends mon boy
Parait qu’il est resté coincé dans le trafic
Depuis que la Volvo a dérapé
Cinq ans in and out en thérapie
Des fois, j’ai l’impression qu’y’a rien appris
But these things they take time

— TTTTT

Work work work

Il faut surtout noter que Simon Cliche est en train de récolter le fruit du travail inlassable au sein de Loud Lary Ajust qui avait déjà réussi à défoncer un certain plafond de verre pour pénétrer dans l’arène des artistes importants de la scène souterraine québécoise. Un travail qui s’est entamé il y a 7-8 ans et qui a sans doute coûté plusieurs mauvaises soirées, revers et déception à ses protagonistes. Tout ce travail fait en amont a permis à Loud d’obtenir un kickstart lors de la sortie de son premier album solo. Le succès de son EP New phone et la chanson 56k l’annonçait déjà.

On voit aussi la grande différence entre les nouveaux vidéos et le vidéoclip qui semble avoir été tourné à petits coûts : louer un hangar à Dorval et un verre de jus d’orange, ce n’est pas ça qui coûte le plus cher. Une petite soirée de tournage et hop, c’est terminé. Tandis que les nombreuses locations et l’esthétique léchées de celui de Nouveaux riches sent un petit plus le bling-bling.

Frapper à la bonne porte au bon moment

C’est peut-être aussi un bon timing qui favorise Loud. Le rap a repris une place importante dans les oreilles des jeunes adultes que par le passé. Les mélomanes étaient mûrs pour un nouveau phénomène à la Dubmatique. De plus, la scène québécoise bouillonne plus que par le passé. Entre la scène anglo qui se cherche un peu encore, mais qui a quelques bonnes têtes d’affiche dont Nate Husser et la scène franco qu’Alaclair Ensemble a marqué au fer rouge la scène avec 4,99$ qui ne coûtait rien. Une nouvelle génération de rappeurs qui faisaient les choses de manière différente et qui ne se battaient pas contre internet pour arriver à ses fins. Vaut mieux profiter de la bonne vague si on veut la surfer.

Il y a aussi « l’industrie » musicale québécoise qui a vu de jeunes maisons de disque tournées vers le rap prendre leur envol : 7e Ciel d’un côté, Joyride Records (des anciens de Silence d’Or et des gens de Coyote Records) et les audacieux de chez Cult Nation. Cela donne des structures qui comprennent la réalité et surtout qui savent comment promouvoir cette musique adéquatement.

On peut bien en dire ce qu’on veut, mais Loud a connu une année record. Il a réussi ce que peu de rappeurs avant lui ont réussi à faire. Les seuls qui se sont approchés de ce niveau de succès sont Loco Locass à l’époque d’Amour oral, Dubmatique avec La force de comprendre. Ce n’est pas rien tout de même.

Loud sera en spectacle le 1er mars 2019 à l’Annexe3 de Co-motion.

*Cet article a été rédigé en collaboration avec Co-Motion.

Crédit photo: Maryse Boyce

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