Pomme
La jeune chanteuse a fait beaucoup parler d’elle dernièrement. Et pour cause, elle distille un folk-pop authentique et délicat, amené avec un joli grain de voix, assuré et mélodieux, puis des textes justes. Poétiques, sans en faire des tonnes. Son second album, qu’elle définit elle-même comme très personnel, était réédité le 14 février dernier (cinq morceaux en plus. Honnête).
Nous sommes aujourd’hui à un des évènements de la « French New-Wave Week », festival organisé par la Sirène. Fabuleuse SMAC de La Rochelle. Nous rencontrons l’interprète lyonnaise dans un des bureaux de la zone réservée aux artistes. Accueillante et disponible, alors que nous nous asseyons, elle échange une vanne avec son régisseur de tournée. La vanne est bonne. Donc, on rit (discrètement pour avoir l’air pro). Nous parlons quelques instants de la pluie et du beau temps pour briser la glace puis on déclenche l’enregistreur. Rencontre.
- Sur tes vidéos, tu utilises souvent un instrument inhabituel, une autoharpe. Comment en es-tu venu à utiliser cet instrument ?
La première fois, je crois que je l’ai découvert dans le film Walk The Line qui parle de Johnny Cash. Avec Reese Whiterspoon et Joaquin Phoenix. Et en fait, dedans June Carter joue de l’autoharpe (NDLR La chanteuse de country américaine qui fut la compagne de Johnny Cash), et je crois que c’est la première image que j’ai vue de l’autoharpe dans ma vie, quoi.
- Oui je vois, la scène où elle compose Walk The Line, ou non celle qui fait « Burn, Burn, Burn » ?!
Oui, exactement ! C’est celle-ci. Ring of Fire. Donc voilà, j’ai découvert l’autoharpe là-dedans.
- Comment t’es venu l’idée de faire un album entier sur les failles ?
Je t’avoue que je ne l’ai pas trop conceptualisé. En fait, je me suis rendu compte en écrivant les chansons que j’avais besoin de parler de ça … Et que finalement c’était un peu un contrepied à mon premier album, qui était beaucoup plus arrangé et beaucoup plus épars … (elle s’arrête un instant et réfléchit) Enfin ! Il y avait plein de trucs différents, il y avait des gens qui avaient écrit pour moi … Et quand j’ai commencé à écrire mes propres chansons sans me demander ce que les autres allaient en penser, j’écrivais sur ces thèmes-là naturellement. J’ai jamais trop intellectualisé le truc en fait … Et au bout de 15 chansons, je me suis rendu compte que je parlais un peu toujours des mêmes choses, que je parlais des failles en fait.
- Et c’est là que tu as trouvé le titre ?
Oui.
- Tu es allé en Bourgogne pour écrire, c’est bien ça ?
Oui c’est ça !
- Qu’est-ce qui t’a amené à aller là-bas ?
Eh ben, mon ingé-son, Freddie qui est là, il a un studio dans un endroit de fou en Bourgogne, dont il m’a parlé il y a quatre ans en me disant : « Ouais, c’est un truc de fou, c’est un lieu de malade ou tu peux écrire, composer, tu peux être isolé pendant le temps que tu veux ! » Et du coup, je suis allé là-bas pendant deux semaines, en janvier 2018. Et j’y ai écrit quasiment tout mon album.
- Et j’ai vu que tu avais écrit Anxiété et Je sais pas danser à Paris. Les deux seules chansons qui ne sont pas zen/nature. C’est quoi ta relation à ce genre de ville, Paris ?
Paris, c’est pas vraiment ma passion (rire) je vis à Paris parce que … parce que c’est pratique et que tout est à Paris dans mon entourage professionnel. Enfin, tout est à Paris, quoi. Et du coup, je vis là-bas depuis cinq ans, mais ç’est pas un endroit ou je me sens forcément apaisé. Et c’est ça oui, j’ai écrit soixante-dix pour cent de l’album à la campagne, et quand je suis revenu j’ai écrit ces deux chansons-là. Et c’est vrai que c’est celles qui parlent le plus d’anxiété, de rapport à la foule. À Paris, il y a ce truc des bars, ce truc de la fête, c’est une ville où il se passe plus de choses la nuit que le jour en fait. Et moi, ça a toujours été un truc (elle réfléchit) … j’ai jamais trop bu d’alcool, j’ai jamais trop aimé faire la fête et … du coup, je me suis toujours senti un peu en dehors de ce truc-là.
- Cinq morceaux inédits dans le nouvel album (dont un avec la Québécoise Klô Pelgag) ? Desquels tu aurais envie de nous parler ?
Le morceau avec Klô justement. Comme j’avais pas fait de duo sur l’album, et j’en fais de moins en moins. Là, j’avais envie de faire un duo avec elle parce que c’est une artiste qui … qu’est hyper plurielle, hyper créative. C’est elle qui a arrangé la chanson en fait. Parce que c’est une super arrangeuse. J’avais envie de lui donner une espèce de carte blanche sur l’arrangement de la chanson. Puis, il me manquait la mélodie du refrain sur ce morceau. Je lui ai envoyé et c’est elle qui a composé la mélodie du refrain du coup.
- Lennon et McCartney un peu ?
Oui ! C’était vraiment un truc de collaboration. Pas juste, je lui envoie ma chanson et elle l’enregistre. On a aussi chanté ensemble pendant l’enregistrement d’ailleurs. On l’a fait à Paris toutes les deux avec le reste de l’album. Du coup, c’est une vraie collaboration, je trouve ça chouette … je me suis dit, quitte à faire des duos, autant faire de vrais trucs où tu laisses de l’espace à l’autre. Ça m’intéresse plus de fonctionner comme ça, que de juste inviter des gens à poser leur voix.
- J’ai vu que tu avais passé pas mal de temps au Québec. C’est quoi ton histoire avec le pays ?
Bah, moi j’ai toujours voulu déménager au Québec, ça a toujours été un peu mon endroit de rêve. D’ailleurs, il y a une chanson sur mon album qui s’appelle Les oiseaux. Et j’ai toujours eu un rapport avec ce pays de : « Waou c’est trop cool ». Puis j’y suis allé super jeune et j’ai jamais eu de désillusion en fait. J’ai toujours aimé passer du temps là-bas. Et je m’y suis créé une espèce de famille musicale aussi : Les Sœurs Boulay, Philémon Cimon, Klô Pelgag justement … qui sont devenus tous mes amis en fait. Et … j’ai une espèce de microcosme de gens hyper chouettes et hyper bienveillants là-bas. J’pense que je vais finir par y déménager, je sais pas trop quand. Quand ce sera opportun, mais disons que … depuis que j’ai quatorze ans, j’ai envie de déménager là-bas quoi !
- Tu allierais l’utile à l’agréable, comme ta famille musicale est là-bas ?
Oui ! Je me dis que je serais mieux là-bas qu’à Paris justement. À Montréal il y a moins ce truc de pression, de fête. Enfin, il y a d’autres trucs hein, il y a pas que des points positifs, mais … Il y a plus d’espace. C’est vrai que c’est comme une campagne dans la ville quoi. Tu te sens moins oppressée, il y a moins de bruits, de gens agressifs.
- J’aime beaucoup ta façon de chanter. Quelles sont tes influences ? Tant au niveau du texte que de la musique d’ailleurs ?
(Elle prend un moment pour réfléchir) J’ai écouté beaucoup de chanson française : Barbara, Charles Aznavour, Polnareff. Plein de chanteurs et chanteuses d’avant. Et puis j’ai aussi écouté pas mal de folk américain et anglais, donc … Il y a ce truc, dans la folk, qui est hyper direct, même si c’est en anglais, ce truc d’aller droit au but, et d’être poétique en étant accessible. Sans tourner autour du pot … genre Dolly Parton ou Emmylou Harris.
Et en commençant à composer, j’ai formé mon oreille en écoutant ce genre de chanteuses (il y a Joan Baez aussi). Et en France donc, un mélange de vieille chanson française et de trucs plus récents. J’aimais beaucoup Camélia Jordana, Cœur de Pirate … toutes les artistes qui faisaient attention au texte un peu et étaient dans un truc minimaliste. Et puis j’écoutais aussi vachement de pop aussi, genre … Lady Gaga, les trucs que tout le monde écoutait à l’époque. Elle m’a autant inspiré que les autres artistes que je viens de citer d’ailleurs. Donc, c’est assez varié quoi … Mais plus de femme, je m’y identifiais plus facilement.
- Tu disais au Figaro : « Montrer sa vulnérabilité c’est encore compliqué aujourd’hui », tu aurais envie de développer un peu ?
Oui ! Parce que l’album parle de ça et que l’idée c’était d’être dans un processus de libération, et d’arrêter d’essayer d’être tout le temps dans le contrôle et de jamais lâcher prise. D’être tout le temps d’être en train de me regarder, de regarder les autres, d’être dans le jugement, de moi-même, mais aussi des autres. Enfin, tout ce truc là des apparences, de la perfection, de la performance … D’être parfait, qu’il n’y ait rien qui dépasse, enfin dans les médias … les gens qu’on voit, à la télé, au cinéma, y a pas beaucoup de diversité. Pas beaucoup de truc clivant !
- Pas de prise de risque peut-être ?
C’est ça ! C’est très lisse en fait. Et moi, je me suis rendu compte que je manquais un peu de modèle, et de trucs autres que ceux que l’on voit tout le temps, qui se ressemble tous, qui sont tous politiquement correctes et … sans être punk tu vois, je veux pouvoir écrire des chansons sur les thèmes qui moi me font du bien qui sont : l’anxiété ou la peur de la mort ! Qui sont pas des trucs qui font rêver les gens et que quand t’arrives chez NRJ Music ils te disent : « Ouais c’est un peu dark et tout ». Mais le but c’était de faire ça pour moi et de m’autoriser moi à être vulnérable et puis … tu vois ça à un impact vachement plus positif sur les gens que mon premier album. Qui avait plus pour vocation de plaire et qui a moins plu en fait. Pour le deuxième, j’avais beaucoup moins cette envie de plaire au gens ou ce truc de me dire : « Ouais, je vais cartonner avec mon album sur la mort ! » Je me disais plus, ça va me faire du bien moi de chanter ces chansons la et …
- C’est plus sincère ?
Oui ! Il y a ce truc-là chez les artistes qui me plaisent et dont j’ai eu besoin aussi. Dans les dix dernières années en France, il y a des trucs qui ont marché, qui avaient beaucoup (elle réfléchit un instant) … d’apparat je dirais et je me retrouvais pas là-dedans. Il y avait aussi beaucoup de trucs qui me plaisaient. Je me suis dit : « Comment je peux faire de la musique en 2020 dans ce paysage-là ? » et du coup, j’ai un peu fait … comme si ça, ça existait pas. Pour faire mon album, pour faire les visuels que j’avais envie de faire, pour faire les arrangements que j’avais envie de faire.
- Tu as eu une grande liberté créative sur ça avec ton label ?
Oui ! Totale liberté, j’ai eu aucun directeur artistique. J’ai tout coréalisé avec Albin de La Simone. Et tous les visuels, c’est moi qui suis allé chercher une illustratrice canadienne, qui s’appelle Ambivalently Yours, sur Instagram, j’ai choisi la photographe de photo de presse, c’est moi qui écris tous mes clips.
Donc il y a un truc de contrôle pour le coup. J’ai pas trop lâché prise là-dessus. Mais ça me permet d’être hyper fière de mon truc et de lâcher prise dans un deuxième temps, une fois que j’ai sécurisé un peu tout le truc artistique quoi.
- Tu abordes souvent des sujets de sociétés dans tes interviews, de quoi tu aurais envie de nous parler aujourd’hui ?
J’ai l’impression que l’écologie et le féminisme ce sont des sujets qui coulent tellement de source et … j’ai un âge aussi qui fait que je me sens quand même un peu responsable ! J’aurais 90 ans je me dirais il me reste cinq ans à vivre … bon c’est dommage pour la planète, mais … cinq ans et ciao la mif quoi ! Donc je me sens responsable, pas d’avoir détruit la planète, mais de faire en sorte que ce soit moins pire. Et de faire à mon échelle ce qu’il est possible de faire. C’est ce qui est chouette dans le fait d’avoir une voix dans les médias (et c’est nouveau pour moi, hein) et d’être un peu exposé et que les gens me donnent la parole et que j’ai une place dans mes médias, notamment à la télé. Tu vois ça fait un mois en gros … et je trouve ça important du coup, de parler de mon album bien sûr, mais de parler aussi de trucs …urgents. Parce que mon album c’est cool, mais il y a des trucs plus urgents, notamment l’écologie.
C’est un sujet qui m’a toujours intéressé, un peu comme le féminisme. Qui m’a toujours interpellé et qui a toujours été pour moi une évidence. Sauf qu’il y a plein de gens qui ont des choses à dire et qui ne sont pas du tout exposés. Et c’était mon cas tu vois. J’étais pas tellement … médiatisée avant cet album-là. Donc j’en parlais avec mes amis, j’en parlais dans les interviews que je faisais, à petite échelle. Mais j’avais pas l’occasion d’en parler vraiment. Comme maintenant je suis plus exposé, j’en parle dans de plus gros médias et ça touche plus de gens …
- Tu disais dans la boîte à question que tout le monde peut faire quelque chose, imagine un/une jeune de 17 ans qui est fan de ta musique, qu’est-ce que tu lui conseillerais ?
Bah, déjà tu peux
arrêter d’acheter des vêtements neufs et aller que dans des friperies. Parce
que c’est moins cher et pas si compliqué au final en plus. Bon pas pour les
caleçons et les chaussettes, c’est un peu dégueu. Mais pour tout ce qui est
vestes, pantalons, t-shirts. Tu vois, je porte que des trucs de friperies, tout
le temps. Devenir végétarien c’est chouette aussi, je sais que c’est pas facile
pour plein de gens et que ça se fait pas en trente secondes, mais franchement,
arrêter d’acheter des habits neufs et arrêter d’acheter de la viande et du
poisson … c’est les deux trucs qui peuvent avoir le plus d’impact et qui sont
pas tellement compliqués en fait. Aujourd’hui, en 2020, en France, on est quand
même dans un pays ou il y a plein d’alternatives et … à grande échelle, c’est
les deux industries avec le plus d’impact négatif.
- Si tu pouvais toi-même choisir une question que je te pose, laquelle ce serait ?
(Elle prend un instant pour réfléchir) Il y a ce sujet un peu tabou de … dont je parle quand même un peu, mais en fait … on part souvent du principe que … quand on est artiste et qu’on fait de la musique et qu’on fait des tournées … bah, on est forcément au top. On est forcément hyper heureux, on est forcément en forme tout le temps. Il y a un truc tabou autour de la fatigue et autour du rythme de vie. Et on nous demande pas souvent comment on le gère. C’est comme si, en tant qu’artiste, tu n’avais pas le droit d’être fatigué.
- Genre : «Tu as du succès et tu te mets tellement bien, que t’as pas le droit de râler » ?
Oui c’est ça ! On me demande rarement : « niveau santé mentale, ça va, tu le vis comment » ? Après, comme c’est un peu tabou, si tu me posais cette question je ne sais pas si je pourrais te répondre honnêtement. Parce que c’est un métier ou tu n’as pas tellement le droit de te plaindre et tu n’as pas d’espace pour ça. Mais je me dis que si les médias se mettaient à poser des questions là-dessus …
- Après on peut reconnaître aussi que c’est un métier qui demande beaucoup …
(Elle s’exclame) Bah ouais ! Et puis émotionnellement, c’est un délire … c’est-à-dire que … je trouve ça admirable d’avoir des horaires fixes de bureau et de pouvoir rester heu … toute la journée assis et tout et moi je pourrais jamais faire ça. Et je trouve que les gens qui font ça sont hyper courageux. Sois qu’ ils ont envie soit qu’ ils sont obligés de le faire. Mais il y a un truc de sécurité et de rythme qui fait qu’émotionnellement … t’es tout le temps dans une boucle positive. Alors que quand tu fais de la tournée. Il y a rien qu’est pareil. Même s’il y a un certain rythme, tu changes de ville tout le temps … Le public change … et puis les gens en fait tu les connais pas … ils viennent à ton concert, ils t’envoient plein d’émotions positives, mais … tu sais pas qui c’est vraiment … c’est spécial.
- C’est pas comme un/une ami(e) proche quoi ?
Oui voilà ! Je pense qu’il y a plein de choses à dire là-dessus. Mais les gens n’ont pas envie de le décortiquer parce que ça enlève un peu ce truc de rêve tu vois … autour de la vie d’artiste. Qui est finalement heu … chouette, mais hyper trash aussi par certains aspects. Puis tu n’as pas de répit, tu es sollicité tout le temps. Même en week-end ! Tu vois j’ai pas de week-end, j’ai pas de samedi, j’ai pas de dimanche. Le dimanche, c’est le jour ou je rentre chez moi, je suis sur la route toute la journée. Et le lundi je recommence à travailler : promo lundi/mardi, le mercredi je repars en concert. Et en fait j’ai jamais, jamais, jamais de répit quoi !
- Et la c’est non-stop ou tu as un petit break qui arrive ?
J’ai dix jours en avril …je pense qu’il y a un truc à déconstruire aussi et ne pas voir ça comme « se plaindre », mais comme une façon d’aborder tous les aspects de cette vie-là, et cet aspect-là, il est un peu tabou. Justement, il y a un article qui est sorti dans le magazine Elle, et c’était cool parce que la journaliste me proposait des termes et je devais développer dessus. Elle a proposé notamment « burnout ». Mais c’est la première fois en huit ans d’interview que ça m’arrive ! Elle savait que c’est un truc qui me touchait et tout, et que c’est un des métiers les plus pervers par rapport à ça, la fatigue, le fait de tirer sur la corde. Tu traverses le pays en permanence, tu vois. Ce que je trouve le plus dur c’est que j’ai l’impression que les gens attendent toujours quelque chose de moi : le public, les gens avec qui je bosse … même ma famille au final. Après tu ne sais plus trop quand est-ce que tu es en spectacle et quand tu ne l’es plus … c’est un peu bizarre. Mais je pense que ça fait partie des trucs à développer, et si on en parlait plus ce serait vachement moins difficile pour les artistes.
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