Entrevue Mantar
Si vous êtes un des lecteurs habituels du Canal Auditif, vous savez que nous sommes un blogue généraliste, pour mélomanes, qui laisse une place au métal mais qui n’en fait pas une spécialité. Quand je me suis présenté au festival Heavy Montréal, ce n’était donc pas pour apprécier l’ensemble de l’offre. Si les têtes d’affiche de l’édition 2016 étaient mentionnées dans nos pages, ce serait probablement pour décrire quelque chose qui nous déplaît.
Reste qu’il y avait des groupes très intéressants dans la programmation, et nous en avons rencontré quelques-uns.
J’ai rencontré les deux membres du duo allemand Mantar, soit le batteur Erinc et le volubile chanteur et guitariste Hanno, une heure à peine après leur tour très énergique sur la scène Blabbermouth. Pour un duo, le groupe occupe beaucoup d’espace. Visuellement par le physique imposant d’Erinc et par les mouvements du rachitique Hanno, arpentant la scène torse nu et crachant, avec un air menaçant. Et auditivement aussi, notamment par les piles d’amplis derrière le guitariste et par le tapis de pédales d’effet à ses pieds.
J’en savais assez peu sur eux avant de les voir, à part qu’ils étaient précédés par un intense hype. Je craignais que le groupe soit épuisé par sa prestation, mais dès les premières secondes de notre rencontre, en marchant vers un coin moins bruyant, j’ai constaté que Hanno n’était pas encore complètement défoulé.
H: C’est quoi, cette merde, qui joue sur la grande scène ?
LCA: «Saint…» quelque chose. J’oublie le nom. C’est un nouveau groupe de gars qui étaient connus dans d’anciens groupes.
H: [soupir…]
LCA: Ils représentent bien une part de la programmation du festival, très différente de vous.
H: Nous n’avons rien à voir avec ces groupes-là. Je suis prêt à jouer n’importe où et devant tous les publics, mais un groupe comme ça existe dans un monde différent du mien.
[Nous prenons finalement place à une table à pique-nique.]
LCA: Je dois avouer que je ne vous connaissais pas jusqu’à tout récemment, et ce sont des commentaires sur les réseaux sociaux qui ont attiré mon attention. Vous faites de l’effet, les gens parlent de vous pas mal en ligne.
H: Je me fiche éperdument des réseaux sociaux, moi je n’y suis pas. Nos fans sont d’âges variés, il y a des adolescents, mais pas tant que ça. Beaucoup de nos fans sont plus vieux et ils achètent nos albums sans suivre notre page Facebook. C’est l’inverse de beaucoup de groupes. Je trouve ça mieux comme ça.
LCA: Votre comportement sur scène est très intense, et j’entends dans vos compositions des échos de toutes sortes de courants du métal. Êtes-vous de fans de métal en général, en avez-vous beaucoup écouté?
H: J’apporte cet élément à Mantar beaucoup plus qu’Erinc. Il est à la base un batteur rock’n’roll bien plus que métal.
E: Nous aimons la musique qui frappe fort, mais beaucoup de ça n’est pas nécessairement du métal.
H: Quand j’étais petit, vers 11 ans, j’adorais le thrash, surtout des groupes allemands comme Sodom. Puis je suis passé au punk pendant une dizaine d’années, mais je suis revenu au métal dans ma vingtaine, surtout le black metal. J’étais dans une passe ou j’évitais les gens le plus possible, et le black metal va bien aux solitaires.
LCA: C’est une musique pour exprimer le sentiment d’être seul face à l’univers.
H: C’est exactement ça, et c’est justement dans cette optique que Mantar s’est formé. Nous voulions être juste deux, et nous fier à peu moyens pour faire quelque chose de bon. On peut appeler ça du métal si on veut, j’ai écouté beaucoup de métal alors ça paraît qu’on le veuille ou non, mais pour moi c’est tout simplement lourd et intense. La sonorité de Mantar vient du plaisir que nous prenons à admirer la destruction.
LCA: Vous existez depuis 2012, c’est ça?
H: Nos premières pratiques remontent à ça, mais c’est devenu sérieux en 2013, et nous faisons des tournées depuis le printemps 2014. Nous sommes venus aux États-Unis assez vite, et nous revenons chaque année. Nous avons un bon réseau et des gens qui nous soutiennent là-bas.
E: Mais nous faisions de la musique depuis plus de 20 ans. Nous avons eu d’autres groupes chacun de notre côté.
H: Nos groupes n’étaient jamais sortis de notre petite ville. Mantar a pris une dimension que nous n’avions jamais vécue avant.
LCA: Et c’est votre premier spectacle au Canada aujourd’hui.
H: Oui, c’est super qu’autant de monde soit venu nous voir, même si nous jouions les premiers à jouer aujourd’hui. J’adore être sous-estimé. Nous avons commencé fort, les autres groupes devront être à la hauteur. Bonne chance!
LCA: La programmation d’un festival comme ici est assez bigarrée. Vous venez de l’Allemagne, où les festivals de métal sont très, très populaires. Vous avez joué dans ces festivals? Comment trouvez-vous l’expérience?
E: Nous les avons à peu près tous faits.
H: Nous avons clos une journée du festival de Wacken sur une des petites scènes. C’était formidable. Il y a toujours beaucoup de groupes que je n’aime pas dans ces festivals, mais même aujourd’hui, un beau paquet de gens sont venus nous voir jouer. Je me fiche des scènes et des genres, je me sens privilégié qu’on nous invite à jouer ici. Ça serait facile de ne jouer que dans les petites salles underground pour un public d’initiés, mais ça serait nous mentir à nous-mêmes. Je veux jouer pour tous ceux sont sincèrement intéressés par la nouveauté et l’intensité, quels que soient leurs goûts.
LCA: J’aime toujours observer l’équipement des musiciens, et le tien est particulier. Combien de temps t’a-t-il fallu pour déterminer qu’il te fallait trois amplis et tout le reste?
E: Il y pensait dès nos premières pratiques. Il parlait de séparer son signal en trois dès le départ.
H: J’ai su très vite que nous resterions un duo, il fallait que la guitare soit traitée en conséquence. En Allemagne, j’ai écrit pour un magazine de guitares, j’ai été technicien pour d’autres guitaristes et je donne des cours. Quand il est question d’équipement de guitare, je suis un vrai nerd. Mon truc est de diviser mon signal de guitare et d’envoyer les basses, les mids et les aigus dans trois amplis différents. Ça facilite le travail du technicien de son pour bien capter toutes les nuances.
LCA: Ça apporte une richesse à votre son, ça aide votre groupe à ne pas sembler simpliste même si être un duo vous force à rester simples.
E: Les contraintes que nous nous sommes imposées sont notre plus grande force.
H: Les contraintes, c’est libérateur. Si on a deux guitares, un synthé et un sampler, ça donne tellement d’options qu’on peut s’y perdre. Nous, nous pouvons seulement nous fier à un bon riff, ou à un bon rythme, ou aux deux en même temps avec un peu de chance. Si on y ajoute une bonne tournure dans les textes et un bon titre, une chanson a tout ce qu’il faut. Le reste, c’est superflu.