Dossier spécial | Regards croisés sur la chanson francophone de l’ADISQ : Voix entremêlées : naviguer entre les langues autochtones et le français
Le 26 septembre dernier, des membres de l’industrie musicale étaient conviés à l’UQAM pour une journée entière de réflexion philosophique sur l’état de la chanson au Québec et au Canada. Loin des préoccupations financières, la journée était là pour poser des questions profondes sur l’état des choses actuellement au Canada. Dans ce troisième texte, on parle la relation entre les langues autochtones et le français pour trois autrices-compositrices-interprètes à la pratique établie.
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Peut-être vous rappelez-vous de la controverse il y a quelques années lorsque le Festival international de la chanson de Granby voulait forcer Samian à chanter en français alors qu’il venait de sortir un album en anishinaabemowin. Ce n’est pas pour tourner le fer dans la plaie, mais ce moment a le mérite d’avoir lancé une conversation sur la place des langues autochtones au côté de la langue française. En tant que minoritaires de part et d’autre, il y a une entraide qui s’est installée. Aujourd’hui, aux Francouvertes, on peut s’inscrire en langues autochtones de la même manière qu’en français. Les Francos de Montréal font aussi régulièrement un espace à des artistes qui chantent dans l’une ou l’autre des langues autochtones.
Pour parler de cette question, l’ADISQ a réuni autour de la table Willows, Mimi O’Bonsawin et Eadsé et a demandé à Isabelle Picard d’animer la discussion. Ce fut un moment empreint de beaucoup d’émotion. Nous avons pu creuser trois artistes avec trois histoires bien à eux, où certaines constantes se dégagent, notamment la fragilité des langues autochtones. Après des années à être honnis, elles font un retour dans l’espace public. Une fierté est en train de se dégager de pouvoir chanter dans celles-ci.
Retrouver les langues perdues
Si chacune des trois femmes qui participaient à la rencontre ne parle pas la même langue, on peut dire qu’elles partageaient un point en commun : le défi de réapprendre une langue presque perdue avant qu’il ne soit trop tard. Eadsé est une autrice-compositrice-interprète wendat. De son côté, elle a commencé à apprendre sa langue maternelle et est toujours dans le cheminement pour se l’approprier : « De mon côté, je pense que j’ai toujours eu une grande fierté d’être wendat, de mes racines et tout. Le wendat, c’est une langue qui est en pleine revitalisation d’ailleurs. Ce n’est pas une langue qui est couramment parlée. Donc, il y a des gros efforts qui sont faits au niveau de la nation pour revitaliser cette langue-là. »
Elle explique aussi que cela ne vient pas sans défis : « Je tiens à dire que je ne connais pas beaucoup de wendat. Je suis en processus présentement. Et c’est Marcel Godbout qui a été mon mentor, qui m’a aidée à travers mes chansons pour la prononciation, parce qu’on s’entend que c’est vraiment très important pour moi de ne pas juste incorporer des mots en wendat, mais vraiment être capable de bien les prononcer aussi. » Parce que la réalité du terrain, comme l’expliquait Isabelle Picard, qui vient de Wendake, c’est que, pendant des années, la langue n’était plus enseignée aux jeunes.
Mimi O’Bonsawin a aussi à vivre avec le fait que l’abénaki était une langue près de la mort. Pour la Franco-ontarienne et Abénakis, le défi est relativement neuf : « Je prends des cours qui sont offerts par Odanak, par Zoom, parce que j’ai grandi à Sudbury, c’est à neuf heures de route d’Odanak, donc je n’ai pas passé beaucoup de temps là pendant mon enfance. Donc, maintenant, ils offrent des cours par Zoom. Mon enseignante, c’est Mélanie O’Bonsawin. C’est la deuxième saison de langue, pour moi. Donc c’est vraiment nouveau. C’est drôle parce qu’à chaque fois que je me présente comme artiste à abénaki, les gens sont comme : « Hey, tu vas chanter dans ta langue? » C’est comme : « Yeah, that’d be nice, un jour! » C’est dommage que j’aie comme jamais même entendu ma langue jusqu’à tant que j’avais l’âge de 25 ans. Il y a comme un imposter syndrome qui est là. » Odanak et Wôlinak font de grands efforts pour revitaliser et offrir des services d’apprentissages de la langue.
Pour Willows, qui est originaire du Manitoba et qui est métis, c’est aussi un processus dans lequel elle est engagée. Elle apprend en ce moment le michif : « Il y a à peu près 1000 personnes qui parlent du michif maintenant dans les provinces de l’Ouest. Alors, on travaille vraiment fort, comme chez vous aussi, pour enregistrer cette langue qui a toujours été une langue orale, l’écrire pour qu’on puisse l’enseigner et aussi avoir des enregistrements de nos aînés qui parlent la langue. Alors pour moi, ça, c’est assez récent. Puis j’ai aussi, je voulais juste partager une citation que je trouvais vraiment belle et qui me parle beaucoup, d’un aîné métis qui vient de ville à la Cross, en Saskatchewan, Vince Ahanateo, qui disait « Our language is tied to the land like bannock to butter ». Je trouve ça tellement vrai. Quand j’apprends, quand je parle de michif, j’ai vraiment l’impression forte d’être liée dans mon âme, à d’où je viens, aux plaines. »
Une realité complexe, mais une jeunesse portée par l’espoir
S’il y a des enjeux par rapport à la difficulté d’apprendre la langue, il y a aussi beaucoup d’espoir. Willows qui a vu aussi ses parents se battre pour la survie du français au Manitoba. Elle est donc né dans une famille qui comprend l’importance des mots et de les faire survivre. « En fait, j’ai longtemps porté très fièrement le drapeau de franco-manitobaine en parlant pas de mes racines métisses parce que je me sentais pas assez. I didn’t feel enough. » Elle explique qu’être « white passing » vient aussi avec une responsabilité pour elle qu’elle se fait un devoir de ne pas le nier.
Pour sa part, Mimi O’Bonsawin explique avec beaucoup d’émotion un moment qu’elle a vécu lors d’une fin de semaine d’atelier qu’elle a donné à des jeunes. Après avoir lancé une chanson en abénakis qui sortira au cours de l’automne, O’Bonsawin a vu les jeunes la rejoindre : « J’ai invité tout le monde à danser. J’ai dit : « Si tu veux, on peut danser comme healing pour les enfants, pour la langue. » Puis, à la fin, tout le monde dansait puis chantait dans ma langue. C’était vraiment cool. C’était vraiment spécial. Je pense que c’était un grand moment pour tout le monde. Un moment que je vais porter longtemps. »
Même si les trois femmes sont habitées par la lutte pour la survie de la langue, mais elles rappellent aussi qu’elles sont aussi des artistes qui ne souhaitent pas devenir des porte-paroles pour des communautés entières. Par contre, elles notent toutes que cette réalité, pour eux, est un tremplin qui leur donne le courage de plonger à deux mains dans leur culture.
Bâtir des ponts
S’il y a une chose qui se dégageait de la discussion à laquelle nous avons assisté, c’est la gratitude qu’on prenne le temps de parler de la réalité des langues autochtones pendant une journée organisée par l’ADISQ. Les trois autrices-compositrices-interprètes ont remercié ceux qui étaient là pour écouter et se familiariser avec la situation des artistes autochtones. C’est certainement la leçon qui est à tirer de cette discussion. Plus que jamais, il y a des ponts, rudimentaires, qui sont en place. C’est aux gens de l’industrie actuellement et à ceux de demain de renforcer les fondations du pont avec de l’écoute et de l’ouverture.
Autres textes du dossier
- La chanson francophone en tant que vecteur d’une identité et d’une langue
- La chanson francophone en tant que lieu d’hybridité
- La chanson francophone : un atout pour un territoire
*Cet article a été rédigé en collaboration avec l’ADISQ
Crédit photo: ADISQ / Simon Claus