Combattre le racisme un opéra à la fois, une entrevue avec Tim Brady
C’est un peu gros comme titre, mais c’est tout de même de racisme qu’aborde le prochain opéra, Backstage at Carnegie Hall, de Tim Brady qui sera présenté les 23 et 24 septembre au théâtre Centaur de Montréal.
Backstage at Carnegie Hall est un opéra qui centre son propos autour de Charlie Christian, légende de la guitare électrique, en 1939, alors qu’il est en coulisse avant le fameux concert au Carnegie Hall du sextuor de Benny Goodman. Cet opéra composé par Tim Brady est le premier d’un cycle de quatre qu’il prévoit créer au cours des prochaines années. Pour écrire le livret, il a fait appel à Audrey Dwyer, une ancienne de l’École Nationale de Théâtre, qui est maintenant directrice du Royal Manitoba Theatre Centre à Winnipeg.
Un peu d’histoire
En 1939, Charlie Christian rejoint le Benny Goodman Sextet. À l’époque, ce n’est que la quatrième fois qu’un musicien afro-américain rejoint un orchestre mené par un blanc. « Mon ami Morris Applebaum, avec qui j’ai fait la plupart de mes disques, me soulignait que oui, Benny Goodman était blanc, mais il était juif. Dans les années 30, l’antisémitisme était beaucoup plus important [qu’aujourd’hui]. Pour Benny Goodman, ça allait, parce qu’il était une vedette, mais il était certainement plus sensible aux problématiques de racisme. »
Une première rencontre entre Goodman et Christian ne s’était pas très bien passée. Ça ne cliquait pas en studio. La légende veut que John Hammond, qui faisait partie du groupe de Goodman, fût convaincu de son choix de le mettre de l’avant. Il a donc invité Christian sur scène le soir même au restaurant Victor Hugo de Los Angeles. Lorque Christian serait arrivé, Goodman n’était pas content et a décidé que la formation ferait Rose Room. Ce qu’il ne savait pas, c’est que Christian était familier avec la chanson. Cette chanson qui dure normalement environ 3 minutes s’est étirée pendant 40 minutes. La foule était convaincue, tout comme Goodman.
Ce qu’il faut savoir c’est que Charlie Christian est l’un des premiers à jouer de la guitare électrique, qu’il fût un grand guitariste de swing, qu’il est parmi les précurseurs du bebop et qu’il est aussi l’un des guitaristes qui ont créé la fonction de « lead guitar », mieux connu comme étant le joueur qui fait des solos incroyables sur scène. La carrière de Christian fut courte, car il est mort de la tuberculose à 25 ans, en 1942. Il a été enterré dans une tombe sans nom. C’est d’une tristesse infinie.
Mais l’opéra lui?
Nous retrouvons donc Charlie Christian en coulisse juste avant le concert légendaire du Benny Goodman Sextet à Carnegie Hall le 24 décembre 1939. À ce moment, la panique s’empare du jeune homme et il se retrouve dans un délire où il voyage dans le temps. Parmi les endroits qu’il visitera, il y a notamment le club Rockhead’s Paradise, ce mythique club de jazz montréalais. Cette boîte de nuit fondée en 1928 par Rufus Rockhead, un noir, a été l’un des endroits les plus importants de la métropole pour la communauté en accueillant des musiciens importants comme Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Nina Simone, Dizzy Gillespie et bien plus. On doit aussi au club d’avoir offert une scène aux futurs grands de Montréal : Oscar Peterson et Olivier Jones.
Rockhead’s Paradise a aussi un lien très personnel avec Tim Brady. « Le hasard de la vie. Mon père qui avait 23 ou 24 ans et qui faisait ses études en droit cherchait une job d’été. Il a été embauché par les services frontaliers canadiens. Et, par hasard, ils l’ont mandaté de vérifier tous les permis de travails chez Lockhead’s Paradise. Chaque semaine il rentrait chez Rufus, il lui parlait, il parlait à tous les interprètes et vérifiait les permis de travail. Mon père comme un jeune homme blanc en 1946 et 1947 a eu une grande connaissance inusitée du Rockead’s Paradise. J’ai entendu des histoires de l’endroit dès que j’avais 5 ou 6 ans. Les racines de cet opéra datent donc de 60 ans. »
Charlie Christian s’entretient aussi avec Orville Gibson, le fondateur de la marque de guitares du même nom et avec Marian Anderson, chanteuse et activiste. Ce périple chanté a été imaginé par Tim Brady, mais il a fait appel à Audrey Dwyer, car de son propre aveu : « je n’ai aucun talent pour écrire des textes dramatiques. » Mais ce n’est pas tout, Tim Brady était conscient qu’il s’attaquait à un enjeu qui touchait la communauté noire et il voulait avoir une collaboratrice qui en était issue. C’est en passant par la bande du Black Theatre Workshop de Montréal qu’il a connu Dwyer. La chimie a opéré et les deux artistes se sont bien entendus dans le travail.
Et la musique?
N’allez pas sur place en attendant une suite de pièces jazz. Même si Tim Brady incorpore des influences jazz dans ses compositions, on est très loin du swing! « La raison principale, c’est purement technique. La musique swing est essentiellement encore une musique de danse. La rupture va se faire avec le be-bop et le hard bop qui seront des musiques de concert, mais le swing est une musique de danse. Ce qui veut dire que toutes les phrases sont de quatre mesures tandis que le livret de Audrey n’est pas du tout en bloc de quatre. Ce serait quasiment impossible de prendre le livret et de le mettre en format swing.»
Mais ce n’est pas uniquement musical comme décision, c’est aussi philosophique. Tim Brady m’explique que le livret parle de ce qui se passe à l’intérieur de Charlie Christian et pas à l’extérieur. Et même dans ses voyages dans le temps, il ne voulait pas s’enfermer dans un respect de la temporalité musicale. Ce qui est important, c’est que la composition reflète ce qu’il vit. Une chose est sûre par contre, la guitare électrique sera bel et bien là et mise en valeur. Sous la direction de sa fidèle collaboratrice Véronique Lussier, Tim Brady sera à la guitare aux côtés de Pamela Reimer aux claviers, Ryan Truby au violon et Charlotte Layec à la clarinette basse. La mise en scène, pour sa part, est l’œuvre de Cherissa Richards alors que Reuben Brutus, Alicia Ault, Fredericka Petit-Homme, Clayton Kennedy et Justin Welsh seront sur scène pour chanter et jouer l’opéra.
Backstage at Carnegie Hall
23 et 24 septembre à 19h30
Centaur Theatre
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*Cet article a été produit en collaboration avec Groupe Le Vivier.
Crédit photo: Laurence Labat