Chroniques

Carmine Street Guitars : bois d’oeuvre musical

En tournée de promotion, le réalisateur canadien Ron Mann disait toujours partir d’une passion qu’il incubait avant de la transformer en documentaire. Ayant pratiquement toujours donné dans des docuréalités assez pop (le pot, la culture des champignons…) tout en gardant une proximité avec des acteurs et des musiciens, il est quasi naturel de le voir finalement accoucher d’un film en lien direct avec la musique. Mann s’intéresse ici à la guitare en tant qu’objet mythique par le biais de la boutique de Rick Kelly :  Carmine Street Guitars.

Si on s’attend à un docu très rock (à la Motley Crüe) on risque d’être particulièrement déçu. Mann nous offre plutôt une facture très intime et minimaliste, à mi-chemin entre une émission de « Comment c’est fait » et un in-store à la Tiny Desk Concerts. La pierre angulaire du documentaire est Kelly qui nous explique en toute simplicité que chacune de ses guitares est fabriquée à partir de bois recueilli dans de vieux bâtiments de New York. Il raconte entre deux sablages qu’il part parfois à la chasse au bois, dès qu’il entend qu’un bâtiment est rénové ou détruit. C’est ce qui fait le son unique de la guitare et effectivement ses pièces sont de toute beauté. Tous les défauts du bois sont mis en valeur et le nom du bâtiment où a été prise la pièce est pyrogravé dans la guitare. C’est d’ailleurs ce que le premier «invité», le guitariste de The Roots, vient appuyer :  sa guitare Kelly a une sorte de cavité en forme d’éclair qui la rend encore plus belle et unique.

Tous les invités ou clients, apparaissent durant les 5 jours du tournage pour venir vanter la guitare, mais aussi prendre part à la célébration de ce guitar shop, qui fait figure d’irréductible dans le Greenwich Village où tout change et se gentrifie autour. Bien que les visites de Nels Cline (Wilco), The Sadies, Marc Ribot, semblent un peu « stagées », elles mettent l’accent sur ce lien intime entre le musicien et sa guitare. Nous avons aussi droit à quelques courtes pièces de la part des artistes, sous l’œil contemplatif et parfois ému du propriétaire de l’endroit.

Lorsqu’il n’y a pas un Bill Frisell présent dans la shop, on voit Rick Kelly et son apprentie Cindy Hulej (elle cadrerait dans le docu de Motley Crüe) dans l’arrière-boutique. Ce qui surprend, c’est le silence qui y règne :  pas de musique en arrière-plan, pas de fond de distorsion et à peine quelques mots prononcés. Le réalisateur ne sombre toutefois pas trop profondément dans l’acte de création; jamais on ne sent que nous sommes au Canal Z.  

Un des personnages qu’il aurait été intéressant de voir un peu plus est la mère de Rick Kelly. Toujours présente à la boutique pour faire un peu de comptabilité et épousseter.  Lorsque son fils la voit tôt dans la boutique un matin : 

– Hey mom, it’s good that you here…

– Well… at my age it’s good to be anywhere!

L’apprentie, pour sa part, a plus le rôle de compenser le côté old-school de son mentor en gérant le compte Facebook et Instagram de la boutique.

En plus du processus créatif, l’autre aspect que le réalisateur effleure par quelques dialogues est le côté : « Le quartier change, mais pas la boutique ».  Quelques discussions tournent autour de la vente de l’immeuble voisin. La caméra saisit un beau moment de malaise lorsqu’un agent d’immeuble se pointe dans la boutique pour refiler sa carte d’affaires.

Le documentaire est court et la caméra, fixe, nous garde principalement à l’intérieur de la boutique. On aurait bien pris un peu plus de moments où Kelly sort pour aller «chasser» le bois rare! Le seul moment où on le voit revenir avec un gros bloc de bois, qui provient d’une vieille taverne nous donne un des meilleurs moments du film. Kelly explique que de la bière a été renversée sur ce bois pendant plus de 150 ans alors difficile de faire plus rock que ça!   

Pas besoin d’être un guitar head pour apprécier. On est séduit par la simplicité de Rick Kelly et sa passion pour New York et la musique. Le tout se regarde en douceur comme une marche matinale dans le Greenwich Village avec du Wilco dans les oreilles.

Carmine Street Guitar est à l’affiche au Cinéma Du Parc du 5 au 10 avril prochain.

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