Critiques

Pere Ubu

The Long Goodbye

  • 38 minutes
8
Le meilleur de lca

Formé en 1975 à Cleveland, Ohio, la formation « art-rock » expérimentale Pere Ubu roule sa bosse, pratiquement sans interruption, depuis toutes ses années. Mené par David Thomas, aujourd’hui âgé de 66 ans, le groupe s’est toujours démarqué par sa méthode de travail qui fonde ses assises sur le refus obstiné du succès populaire.

Au cours des dernières années, Pere Ubu a fait paraître Lady from Shangai (2013), le bruyant et dérangeant Carnival of Souls (2014) et 20 Years in a Mountain Missile Silo (2017); disque racontant l’histoire fictive d’un groupe rock qui a été enfermé dans un hangar pendant deux décennies et qui revisite le monde extérieur, qui lui, s’est complètement transformé pendant cette séquestration forcée.

Thomas a une conception assez limpide de ce que représente, pour lui, la forme chansonnière. En entrevue au magazine Peek-a-boo, il déclarait ceci : « The song is a unique slice of time and space. It has its own laws. It has its own creator. It has its own metaphysics. And a song is not a collection of parts. I don’t want the musicians to play the parts of a song. I want them to play a song ».

Pour ce nouvel album, intitulé The Long Goodbye et paru le 12 juillet dernier, Thomas s’est immergé dans la musique pop radiophonique. En plus de s’inspirer directement d’un roman de l’écrivain de littérature policière, Raymond Chandler, titré lui aussi The Long Goodbye, l’artiste propose une réflexion incisive sur l’incapacité des humains à faire la différence entre la réalité et la fiction.

Évidemment, la « pop » proposée par Pere Ubu, filtrée et malaxée par l’imagination de Thomas, donne des résultats situés à des années-lumière de la musique que l’on entend sur la vaste majorité des radios de la bande FM.

Dès la première pièce, What I Heard on the Pop Radio, Thomas déverse son fiel en qualifiant ce qu’il a entendu d’ « emotional garbage » et de « baby voiced gangsta dreamboat ».

De plus, Thomas adopte une posture de prédicateur apocalyptique et condamne vigoureusement le subtil virage « post-humain » qu’emprunte actuellement l’humanité. La « vision post-humaine » trouve son inspiration dans la philosophie, la science-fiction, l’art contemporain et imagine l’être humain dans un autre état physique et intellectuel; une redéfinition complète de l’Homme, tel qu’on le connaît, et qui a un lien manifeste avec la révolution technologique en cours.

Musicalement, Pere Ubu s’amuse à triturer l’approche consensuelle de la pop mercantiliste avec l’aide de synthés et de boîtes à rythmes « cheap ». Et ça donne un mélange qui flirte avec l’industriel (Flicking Cigarettes at the Sun), le psychédélisme enfantin (The World (As We Can Know It)), l’électro-jazz inspiré de l’œuvre d’Angelo Badalamenti (Fortunate Son, Marlowe) et la musique expérimentale à la Scott Walker (The Road Ahead).

Des rumeurs ont circulé indiquant que The Long Goodbye serait le dernier disque de Pere Ubu. Si c’était le cas, cet éventuel chant du cygne est une réussite absolue : le meilleur album parmi les parutions récentes du groupe. David Thomas est sans contredit l’un des plus importants artistes états-uniens de la musique dite « alternative ».

Si vous aimez des groupes comme Liars et Xiu Xiu ou un artiste singulier comme Scott Walker ou encore le mythique écrivain Ernest Hemingway, vous serez conquis par The Long Goodbye.

Du grand art !

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