FIJM 2018 – Mark Guiliana, Thundercat, Herbie Hancock, Gilad Hekselman
Une autre soirée au Jazz, avec plusieurs concerts attendus dont celui de Thundercat et Herbie Hancock.
Mark Guiliana Beat Music, avec Bigyuki et Jeff Taylor
Je suis allé me délecter de l’immense talent de Mark Guiliana et sa bande au Gesù, qui nous présentaient leur dernier projet, Beat Music. Il est de prime abord évident que le trio est composé d’excellents musiciens qui jouent avec une grande symbiose ensemble, l’enjeu n’était donc pas là hier soir. Ce qui rendait ce concert hors du commun, c’était la recherche compositionnelle, la maturité et la modestie avec laquelle le trio les met en œuvre ainsi que le spectre stylistique utilisé. Parce que ce projet, c’est un peu comme mélanger Taming the Dragon de Meldau avec du dub, du prog rock, du hip-hop, du trip-hop, du techno et un soupçon de djent… je vous laisse imaginer. Puis, mélangez le tout avec des parties de batterie non loin de Jojo Mayer.
La courbe globale du concert était très bien ficelée aussi. Après un solo assez épuré de Guiliana sur un récitatif noyé dans le délai, Bigyuki est venu nous montrer de quel bois il se chauffait derrière ses synthétiseurs — dont les sons étaient pour la majorité assez intéressants —, et le bassiste s’est joint à eux un peu plus tard pour compléter le trio. C’était une excellente façon de bâtir lentement jusqu’à certaines pièces plus intenses, et plus tard jusqu’à un redoux quand l’homme aux 1000 voix, Jeff Taylor, s’est pointé sur la scène. J’étais sceptique à la première pièce, qui était un peu faible, mais le reste de la performance en quatuor était à vous jeter par terre. L’originalité du projet a pris avec lui un nouveau niveau de surprise et de cohésion qui s’est conservé jusqu’à la toute fin. Un des seuls moments faibles était le solo mi-Bach mi-jazz de Bigyuki. Il utilisait un son de piano très mince qu’il tentait de faire glitcher avec une pédale sans grand succès musical. Hormis ce moment un peu chancelant, ce concert était tout près de la note parfaite pour moi. Je ne pense pas avoir saisi tout ce qui s’est passé, justement parce que ce projet est si authentique et métissé. Difficile de concevoir qu’il n’y avait pas de gens debout par manque de place dans le Gesù.
Thundercat
Thundercat ne m’a pas laissé le temps de m’en remettre avant de se faire aller les thunderpattes en première partie d’Herbie Hancock dans l’immense Wilfrid-Pelletier. Je l’avais vu à la SAT il y a quelque temps, et j’espérais (pour lui) que le bassiste réussirait à changer l’impression que je m’étais alors faite de lui, mais en vain. Ses concerts sont inintelligibles parce que son batteur joue beaucoup trop fort, les trois musiciens ne s’écoutent absolument pas et ils passent leur temps à shreadder avec un acharnement essoufflant. Par-dessus le marché, la basse de Thundercat n’a qu’un son et il chante faux la moitié du temps. Dans une salle comme celle-là, ça devient impossible pour le technicien de son de faire une bonne job. Comme de fait, ça sonnait super mal et beaucoup trop réverbéré. On le sait que vous êtes capables de jouer vite guys, mais la musique ce n’est pas miss monde.
Herbie Hancock
Et juste au moment où je me disais que cette salle n’était peut-être simplement pas faite pour bien entendre de la musique aussi précise, Hancock et ses trois acolytes sont apparus et on entendait tout parfaitement. Probablement le meilleur exemple de musiciens de talent qui savent écouter et prendre leur place quand c’est le temps seulement. Pas surprenant qu’un tel monument ait choisi des musiciens qui savent jouer à ce niveau. Attention : il n’a tout de même pas choisi les musiciens les plus stylistiquement fringants, pour le dire ainsi.
Le pianiste a beau nous chanter dans tous les tons qu’il suit la vague de la musique actuelle, qu’il se réactualise et qu’il admire la nouvelle scène jazz et hip-hop de L.A., son fusion est encore bien pogné en ‘80 — et il choisit ses musiciens en conséquence, que ce soit consciemment ou inconsciemment. Si tu veux te sortir de l’époque maudite du fusion, ce n’est ni en utilisant les préréglages de ton Korg Kronos, ni avec un vocodeur que tu vas y parvenir. Même son jeu pianistique ne semble pas si différent ou évolué que ça depuis ce temps.
Mais bon, à l’extérieur de cette volonté, Hancock sait encore largement donner un bon show. Lui et ses musiciens sont absurdement synchronisés, leurs solos sont généralement longs, mais tout de même un minimum intéressant… tout serait prêt à être enregistré. Ce sont des années d’expérience qui paraissent ici, et il sera intéressant de voir ce que la légende sera capable de tirer de Collier, Pinderhughes et Martin sur son prochain disque. Je prédis qu’ils vont lui voler la vedette, mais sait-on jamais.
Gilad Hekselman trio, avec Mark Turner
Ma soirée s’est terminée dans une ambiance beaucoup plus feutrée avec Gilad Hekselman trio, accompagné par Mark Turner. On en avait pour son argent niveau Gilad. Les quelques longs solos qu’il nous a offerts étaient dignes des plus grands virtuoses par leur fluidité et leur subtilité. Vraiment, ce guitariste est d’un calibre stellaire, et c’est vraiment avec ses envolées seules qu’on le reconnaît. Lui et son batteur avaient une excellente cohésion — ils étaient comme des enfants à l’arrière de certains solos. Turner, pour sa part, était un choix de collaboration un peu trop conservateur. Cependant, rien de tout ça n’est dramatique quand ils jouent la musique de Gilad, très guitaristique et donc le mettant en valeur.
Peu d’accrocs pour le groupe en cours de chemin. On a eu droit pendant un des solos du guitariste à un magnifique jeu de boucles qui s’est fondu à la perfection dans le retour de la section rythmique, autre gage du talent sans borne du virtuose. Vraiment, un des seuls points assez négatifs du concert était une des dernières pièces, qui était super quétaine, mais elle a été contrebalancée par la suivante, complètement à l’opposé. Une soirée assez fructueuse!