Concerts

FIJM 2018 – René Lussier, Moon Hooch, GoGo Penguin

Retour sur les concerts de René Lussier Quintette, Moon Hooch et GoGo Penguin.

 

René Lussier Quintette

René Lussier est probablement une des bébittes des plus sous-estimées de la musique actuelle québécoise. Hier soir, avec son quintette, il nous a prouvé que c’était le cas autant en concert qu’en studio. Avant même d’écouter, on le reconnaît : sur la scène, deux batteries, tuba, accordéon et guitare électrique. Venant d’un gars qui fouille les profondeurs des limites entre la musique contemporaine, le free jazz, le rock et tout ce que vous voudrez d’autre, ce n’est pas si surprenant, me dira-t-on… Mais il faut les entendre pour le croire. Ce nouveau projet de Lussier est une exploration des chevauchements entre l’improvisation individuelle ou de groupe et de son antithèse, soit d’une écriture polyphonique très précise. On y retrouve son éternel humour, imbriqué au reste avec la périlleuse finesse qui ne s’essouffle pas chez lui — non pas sans quelques exceptions, heureusement peu communes —, et son amour pour le chaos et le maximalisme. À ce niveau d’ailleurs, c’est probablement un de ses projets les plus matures et les plus raffinés que je connaisse.

Je mentionne de prime abord la qualité des interprètes qui entourent le guitariste; ses compositions étant très précises et peu magnanimes face à l’erreur (malgré leurs apparences anomiques a priori), une clique de musiciens endurcis s’impose pour mener à bien le projet. À partir de là, Lussier peut s’en donner à cœur joie, et c’est ce qu’il fait; chaque œuvre est composée le plus souvent de plusieurs tableaux avec une certaine liberté ponctuée d’accents et de gestes pointillistes qui font entrevoir la structure du chaos qui les entoure. Ce chaos prend lui-même une forme parfois minimaliste ou répétitive, parfois très rhizomatique, mais toujours dans une écriture macroscopique scalaire qui alterne ce dernier avec des moments orchestraux plus définis, plus près du rock ou du prog — même du djent par moments. Quelques transitions semblaient un peu forcées, surtout en contraste avec certaines autres qui étaient magnifiquement fluides, mais tout était fait dans le plus grand savoir-faire orchestral.

L’écriture des nuances était d’une rare maturité. De plus, chacun des membres savait très bien où il devait être et à quel moment dans le spectre dynamique. Le résultat était frappant : des œuvres aux nuances évolutives qui savent exactement où doit être l’attention de l’auditeur. De l’orchestration selon les règles de l’art. J’ai rarement — sinon jamais — vu quelqu’un aussi bien écrire pour deux batteries, autant au niveau rythmique qu’au niveau de la place qu’elles pouvaient occuper. L’écriture de chacun des autres instruments était à cette image, d’ailleurs. Vraiment, René Lussier et son quintette ont fait preuve d’une maîtrise, autant compositionnelle que performative, que l’on ne voit que très rarement.

Moon Hooch

Après avoir abusé des inouïs et essentiels vaporisateurs d’eau sur le site du FIJM, je suis allé me réchauffer à Moon Hooch, qui était de retour au festival. Ils étaient cette fois en première partie de GoGo Penguin au Club Soda, et une fois de plus le trio a prouvé qu’il était incapable de s’essouffler. Hormis certains moments un peu quétaines, souvent plus vides et moins authentiques, leur esthétique techno poussait les enceintes de la salle à bloc — de façon peut-être un peu trop monolithique. Elle a tôt fait d’enchanter la salle comble. Comment ne pas être entraîné par un tel amalgame de saxophones et d’EDM! Je trouve le choix de les mettre avant GoGo un peu étrange… Vu la puissance de leur spectacle, c’est un peu comme mettre Deadmau5 en première partie de Godspeed. Le groupe aurait pu aussi varier un peu plus la courbe dynamique du concert, mais c’est un détail. Règle générale, c’était tout ce que ça devait être.

GoGo Penguin

GoGo sont ensuite venus calmer l’ambiance avec leur jazz près de Tigran, EST et Bad Plus, et métissé avec du post-rock, du drum’n’bass et du EDM… La salle n’était pas comble pour rien. Le trio anglais a joué à mon grand bonheur une bonne partie de leur dernier album, A Humdrum Star, qui comporte selon moi certaines des pièces les mieux composées du groupe. Les parties de batteries portent toujours cette marque presque électronique — le son de la batterie en direct le reflétait d’ailleurs à la perfection —, tout comme celles du piano qui imitent souvent des effets (comme du délai, des filtres ou du beat repeat) ou des synthés. Le tout donne une performance très bien ficelée, variée et surtout bien interprétée.

Vu qu’il n’y avait que quelques effets sur le piano et peu d’utilisation de piste d’accompagnement, certaines pièces étaient un peu moins intéressantes en concert qu’en studio. Évidemment, celles qui dépendent davantage de la postproduction sont souvent dignes d’intérêt pour cette raison précise. Considérant qu’ils utilisaient une piste d’accompagnement et des effets, ils auraient dû en intégrer un peu plus à la performance. Ça aurait donné le peu qu’il manquait pour ne pas être un peu long par moments. En plus, les nombreux solos de contrebasse étaient assez moyens, et le son de l’instrument était un peu artificiel — au mauvais sens du terme.

Cependant, c’était une excellente performance dans son ensemble : rafraîchissante et authentique stylistiquement parlant. Les deux sommets dynamiques étaient placés judicieusement, et le technicien du groupe a réussi à faire super bien sonner la grosse boîte à savon! Franchement, avec un peu plus de travail sur l’électronique, ce concert est en masse digne de la maison symphonique. Je leur souhaite en tout cas.

 

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