Les Hôtesses d'Hilaire
Viens avec moi
- L-A be
- 2018
- 80 minutes
Quiconque connaît Les Hôtesses d’Hilaire ne peut douter de leur théâtralité et de leur folie des grandeurs. Après avoir conquis la province avec leur rock psychédélique chiac, il est donc tout naturel de les voir réapparaître avec rien de moins qu’un opéra rock en 19 chapitres. Défilant à toute allure sur le décor acadien, Viens avec moi raconte l’histoire croisée de Kevin, vedette de télé-réalité musicale, et d’un certain Serge, leader d’un groupe rock indépendant qui tente de faire sa place dans la jungle artistique.
Le projet est aussi enthousiasmant qu’intriguant. Dès l’introduction, on est conquis. Une entrée en matière de 6 minutes, c’est assez atypique et surprenant. « C’est quoi qui définit un succès? C’est tu l’argent que t’as fait, ou ben le nombre de monde que t’as touché », entend-on sur une trame sonore tissée des échos des personnages de l’histoire, avec, en filigrane, les commentaires haineux (bien réels) de l’ex-animateur André Arthur à l’endroit des Hôtesses d’Hilaire.
Il n’y a pas à dire, Viens avec moi est un album surprenant, qui navigue vers tous les horizons musicaux, du country au rock n’ roll, empruntant habilement au passage les codes de la pop bonbon qui caractérise les vedettes éclairs de notre époque pour multiplier les vers d’oreille. D’un épisode à l’autre, les chansons sont interrompues par la sympathique narration de Serge Brideau, qui incarne aussi les deux protagonistes stéréotypes. Ces échanges peuvent d’ailleurs porter à confusion, pour l’auditeur pressé et un peu distrait.
J’en ai plein mon cass’ à jouer la mascotte. J’veux dire, de porter des robes et de me vider d’la bière sur la tête. J’veux juste dire que, j’ai comme pas l’impression que j’exploite mon potentiel au maximum.
– Le calvaire de Serge
L’ensemble de l’oeuvre est un tantinet long, malgré un rythme soutenu du début à la fin. Néanmoins, l’histoire qu’on y raconte est hilarante et criante de vérité, les chansons sont éclatées, sans toutefois délaisser le son abrasif et progressif caractéristique des Hôtesses. À cet effet, coup de cœur pour Hot Seat, qu’on ne peut qualifier autrement que par le mot « épique », clôturée d’un éclatant bouquet de choeurs quasi cléricaux. Les choeurs sont d’ailleurs récurrents tout au long de la saga, décuplant l’ampleur du sarcasme qui habille les critiques incisives du groupe sur sa génération. « Je post donc j’existe », répète inlassablement la chorale, sur Post ta shit, une attaque direct aux réseaux sociaux, qui n’est pas sans rappeler Regarde-moi, une pièce phare du dernier opus du groupe, Touche-moi pas là. Le groupe s’attaque aussi évidemment aussi au vedettariat, au pouvoir de l’argent et à l’obsession de l’image, mais dévoile aussi, de manière exacerbée, les côtés sombres de la vie de rockeur.
Avec un quatrième album au concept abouti, une idée complètement folle poussée à son paroxysme, Les Hôtesses d’Hilaire atteignent les sommets de leurs ambitions. Malgré un éclectisme musical qui rend l’oeuvre insaisissable, cette nouvelle parution figure parmi les plus marquantes de la saison printanière, voire de l’année. Le spectacle issu de ce disque ne pourra qu’être unique en son genre. Concluons sur le témoignage que chante joyeusement Serge sur l’excessive P’tite clé Bé :
J’aime la poudre. J’haïs la poudre.
J’peux pas bander, j’peux pas m’la fermer.
La poudre c’est d’la marde
Mais si tu m’offres une clé, j’dis pas non .
Le rock est pas mort, comme dirait l’autre.