Festival Akousma XII
C’est avec enthousiasme que l’on attendait la douzième édition du Festival Akousma à l’Usine C, grande messe des disciples des musiques numériques immersives, qui se déroulait du 28 au 31 octobre dernier. D’abord parce que l’édition précédente avait laissé d’excellents souvenirs; ensuite parce que «l’acousmonium», cet orchestre de haut-parleurs, permet de donner vie à des œuvres bien plus grandes que le cadre réduit de la stéréophonie; et finalement parce que le niveau d’expérience des compositeurs annonçait de grands moments de maîtrise sonore. Les créations étaient rassemblées sous quatre thèmes esthétiques, dont les frontières n’étaient évidemment pas étanches. Après tout, s’il y a bien un festival de musique où la liberté de création en fait sa pierre d’assise, c’est bien celui d’Akousma.
Les «Fréquences pulsées» affichaient complet mercredi, et les spectateurs étaient clairement préparés à une expérience sonore hors de l’ordinaire. Pas un bruit dans la salle pendant (presque) toute la soirée. Nous avons eu droit à une qualité d’écoute exceptionnelle, bien au-delà de ce à quoi nous sommes habitués même à la Maison symphonique, qui devait être jalouse de l’Usine C ce soir-là. Xavier Madore a commencé la soirée avec Récit d’un presqu’aller-retour (2014), pièce rythmée au phrasé complètement éclaté; récipiendaire du premier prix au concours JTTP 2015. Fernando Alexis Franco Murillo a proposé un montage de souvenirs sonores avec Für Alexandra (2015), offrant au passage du «field recording» urbain et de l’échantillonnage anecdotique. Martin Bédard et la flûtiste Marie-Hélène Breault ont diffusé Replica (2013), une pièce composée à partir de sons de flûtes, transformés en une suite de souffles et de vibrations. Scant Intone (Constantine Katsiris) a interprété Delay Line Memories (2001-2015), une compilation d’études sonores gravitant autour de la musique drone et la manipulation live de synthèse sonore. Après l’entracte, Benjamin Thigpen nous a présenté Pulse (2015), une œuvre en trois parties développée à partir d’un synthétiseur analogique Buchla 200. Nicolas Bernier a honoré le thème de la soirée avec une performance audiovisuelle énergique de Frequencies (synthetic variations) (2013), au grand plaisir du public.
https://soundcloud.com/xavier-madore
https://soundcloud.com/alexis-franco
https://soundcloud.com/martinbedard
http://mariehelenebreault.com/fr/
http://www.benjaminthigpen.net
Les «Cristaux bruités» de la deuxième soirée débutaient avec Plastic Recollections 6 (2015), de Junya Oikawa. Sixième pièce d’une série dédiée à l’exploration de matières sonores, celle-ci proposait la caisse claire, déchiquetée et recollée à travers une suite de variations rythmiques surprenantes. Jesse Osborne-Lanthier nous a présenté (prenez un petit souffle) Embodying Strategic Self-reference in a World Futures Conference or Applying a Stereo Field to a 45 Speaker Setup (2015), un montage dense de bruits et d’échantillons qui avait un je-ne-sais-quoi de décoiffant. Œuvre pour orgue et électroniques, The Long Shadow of Decline, Pt I-III est tirée de l’album Still Light, Outside (2015) de John Chantler, un passionné de circuits électroniques et de toile de fond organique. Dominic Thibault a fermé le concert de façon concrète avec (se) (2015), une murale sonore en huit mouvements.
https://soundcloud.com/jesseosbornelanthier
http://johnchantler.bandcamp.com/
Les «Vents oscillés» de vendredi se sont déployés gracieusement avec les pièces Morphine (2015) et Vents sauvages (2015) du duo Jane/Kin, formé de la saxophoniste Ida Toninato et de l’électroacousticienne Ana Dall’Ara Majek. Golden Retriever, un autre duo, formé cette fois de Matt Carlson (synthétiseur modulaire) et Jonathan Sielaff (clarinette basse), ont interprété Untitled (2015), une trame en partie improvisée qui oscille entre les impulsions synthétiques et les dissonances cuivrées. Thomas Ankersmit a renouvelé l’expérience auditive en explorant les «otoémissions acoustiques», des sons sitedemo.cauits par l’oreille en réaction à des sons externes, Otolith (2014/2015) dans ce cas-ci. Capital Movements (2015) d’Ilpo Väisänen a conclu le concert avec intensité, spatialisé exceptionnellement par le directeur artistique du festival, Louis Dufort.
https://soundcloud.com/anadallaramajek
https://soundcloud.com/ida-toninato
http://goldenretriever.bandcamp.com
http://www.thomasankersmit.com
https://editionsmego.bandcamp.com/album/communist-dub
Les «Champs modulés» de samedi ont débuté avec deux classiques du compositeur John Rea; S.P.I. 51 (1968) et STER 1.3 (1968), spatialisé également par le DA Louis Dufort. Roxanne Turcotte a débuté l’interprétation de son œuvre Bestiaire (2010-2014) avec un appeau à oiseau, et a enchaîné par la suite avec une spatialisation très réussie de sons d’animaux. Georges Forget et Martin Bédard nous ont présenté la somme de leur collaboration avec l’excellente Prismasonor (2015), œuvre découpée offrant une palette sonore partant du filament de bruit à l’ouragan d’échantillons. Valerio Tricoli a interprété La Casa Declivia, une improvisation électroacoustique basée sur la manipulation live de matériaux sonores. Martin Messier a terminé le festival avec FIELD (2015), une expérience audiovisuelle dynamique rendue possible par la captation de champs électromagnétiques, rien de moins.
http://www.smcq.qc.ca/smcq/en/artistes/r/rea_jo/
https://soundcloud.com/georges-forget
https://soundcloud.com/martinbedard
http://p-a-n.org/release/1400/
La douzième édition est terminée, et on ressent une grande satisfaction; curiosité assouvie et oreilles nettoyées jusque dans les nerfs auditifs. S’il y a une comparaison à faire avec l’édition précédente, c’est que celle-ci était plus immersive; plus exigeante par moment, plus introspective, peut-être même proche d’une forme de transe dans certains cas. Le voyage offert était plus abstrait cette année, et laisse des marques qui donnent autant envie de composer une fresque monumentale que de s’asseoir dans un coin comme un haut-parleur mal positionné.
http://www.akousma.ca/fr/festival/festival-akousma/akousma-douze/