The Jesus Lizard
Goat
Étiez-vous né, en février 1991? Si oui, qu’écoutiez-vous comme musique? La trame sonore de Robin Hood: Prince Of Thieves, ou peut-être Mariah Carey? Ou encore étiez-vous de ces sous-groupes qui vénéraient The Cure et Depeche Mode d’un côté, ou Slayer et Metallica de l’autre? La grande vague du rock alternatif était encore impensable (c.-à-d. Nirvana n’avait pas encore enregistré Nevermind) et les médias grand public ne laissaient que très peu de place à ce qui déviait de la norme. Pour la très grande majorité du monde, et même pour bien des mélomanes, la formation The Jesus Lizard n’était même pas sur nos écrans radars.
Ce qui n’était pas couvert par les grands médias se développait dans un vaste réseau de petites scènes locales, d’où se sont élevés quelques géants, des groupes-phares qui se sont imposés par la force de leur inspiration et par leur volonté à exceller malgré un succès commercial très peu probable. De toutes les scènes underground régionales aux États-Unis, Austin au Texas et Chicago étaient celles qui dégageaient les ondes les plus malsaines, et un groupe représente à merveille les dénominateurs communs de ces deux scènes. Son influence tenace et profonde se propage encore à ce jour sur une multitude de musiciens. Ce groupe était The Jesus Lizard.
The Jesus Lizard s’est formé à Austin, berceau des Butthole Surfers et de Roky Erickson, quand deux membres des défunts Scratch Acid, le chanteur David Yow et le bassiste David William Sims, ont accepté une invitation à former un nouveau groupe avec le guitariste Duane Denison. Le trio s’est bientôt installé à Chicago et a fait ses premiers enregistrements avec une boîte à rythmes dans les studios de la grosse légume locale Steve Albini. La présence de sons synthétiques dans un bain punk si glauque et trouble rappelait le travail d’Albini lui-même dans son groupe Big Black ainsi que celui d’autres groupes à saveur abrasive et industrielle comme on en retrouvait dans l’écurie de labels de Chicago comme Wax Trax!, Touch & Go, Skin Graft, Drag City et j’en passe.
La boîte à rythmes a cependant pris le bord dès le premier long-jeu, Head, grâce à l’addition du batteur Mac McNeilly. The Jesus Lizard allait dorénavant faire passer son style dément dans une forme traditionnellement rock, tel un Led Zeppelin formé dans un hôpital psychiatrique. Avec Head, les trois instrumentistes jetaient les bases de ce qui allait devenir leur spécialité: un rapport pratiquement télépathique et un flair pour les arrangements puissants, dépouillés et troublants. C’était un cadre parfait pour les gémissements déstabilisants du chanteur David Yow, lui-même le juste intermédiaire entre Iggy Pop et Mark E. Smith.
L’assurance du groupe était claire dès ce premier album, mais quand Goat est arrivé il y a 25 ans ce mois-ci, toutes les attentes ont été éclipsées. L’album démarre avec la lente et lugubre Then Comes Dudley, une feinte qui ne fait qu’accentuer l’effet monstre du one-two-punch qui suit, Mouth Breather et Nub. Tout le reste de l’album vacille entre ces niveaux d’intensité, et combine adroitement contrôle minutieux et abandon total.
Goat a marqué l’avènement de The Jesus Lizard au sommet de son talent, un sommet qui a duré trois albums (avec Liar en 1992 et Down en 1994), et il a aussi marqué toute une esthétique dans le rock bruyant. Ce son n’était pas sans antécédent, le groupe a notamment mentionné qu’il s’inspirait fortement de The Birthday Party, mais le travail qu’a fait le quatuor avec Steve Albini à la console a donné une sonorité reconnaissable entre toutes, et encore aujourd’hui utilisée comme raccourci dans de nombreuses descriptions de groupes. Ça sonne malsain et la voix est intentionnellement fausse? “Ça sonne comme du Jesus Lizard.” C’est rude et agressif sans être m’as-tu-vu comme du heavy metal? “Ça sonne comme du Jesus Lizard.” C’est à la fois simple et imprévisible et l’enregistrement est très cru? Ça sonne comme vous savez qui.
Et l’histoire sur disque n’est même pas la moitié de ce qui a fait la réputation du groupe. C’est sur scène, inlassablement et pendant des années, que The Jesus Lizard s’est élevé au rang des immortels. Les voir en action signifiait habituellement qu’on allait toucher à David Yow d’une façon ou d’une autre, et qu’on allait craindre un instant pour sa propre sécurité. Ce dévouement corps et âme représente à la perfection l’agitation et la fébrilité qui anime tout bon rock’n’roll depuis des décennies.
http://www.touchandgorecords.com/bands/band.php?id=78
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