The Drones
Feelin’ Kinda Free
- Indépendant
- 2016
- 40 minutes
Il y a de la grande musique dérangeante et iconoclaste qui est sortie de la ville de Melbourne et de ses environs. Notons J.G. Thirlwell de Foetus ainsi que Nick Cave et la petite constellation qui entoure The Birthday Party, les Bad Seeds et The Dirty Three. Plus récemment, la ville nous a aussi donné Angus Andrew de Liars et une riche scène punk-rock où ont régné Eddy Current Suppression Ring et Total Control.
Bon, la ville nous a aussi donné Kylie Minogue, mais ça ne sert pas tellement mon propos alors passons.
The Drones viennent eux aussi de cette région au sud du sud. Depuis un peu plus de dix ans, le groupe met le doigt sur les bobos du monde et observe son environnement immédiat pour dire quelque chose d’universel sur la souffrance humaine. Le chanteur, guitariste et porte-voix du groupe, Gareth Liddiard, sonnait comme un vieil homme aigri dès le premier album du groupe, et les années ne font rien pour l’assagir ni pour le rendre plus serein. The Drones ont toujours été l’appareil qui lui sert à déverser son fiel, et c’est le cas encore avec Feelin’ Kinda Free.
La musique des Drones n’a rien de particulièrement avant-gardiste; c’est un groupe de rock très relâché qui sent le fond de bouteille, le cendrier sale et la dépression chronique, une sonorité assumée avec assurance par le groupe et qui sied à merveille les propos de Liddiard. L’album précédent, I See Seaweed en 2013, montrait un groupe devenu en totale possession de ses moyens qui offrait une trame sonore potentielle à l’écroulement de la civilisation occidentale. Pour Feelin’ Kinda Free, les Drones se secouent un peu et offrent ce qu’ils ont fait de plus dansant jusqu’à présent. Ne vous attendez cependant pas à un beat house ou a des grooves funk. Ce qui fait bouger la troupe de Liddiard ressemble plus à l’énergie du désespoir qu’à l’envie de faire la fête. La légèreté n’est que maquillage et ne tient jamais longtemps. Elle ne fait que donner un petit regain d’énergie qui est exactement ce qu’il fallait pour faire progresser la formation.
Feelin’ Kinda Free est un album résolument australien, truffé de références à la culture down under, notamment l’histoire du Somerton Man, un homme retrouvé mort en 1958 sur une plage près d’Adelaide dont l’identité est mystérieuse encore aujourd’hui. L’homme avait laissé derrière lui un livre de poésie perse qui contenait d’énigmatiques codes alphabétiques (dont la photo orne la pochette de l’album). Même si l’optique des textes est souvent locale, le message se traduit très bien à d’autres régions du monde. De mon point de vue canadien français, j’ai l’impression de totalement comprendre quand Liddiard décoche une flèche à ses compatriotes qui s’approprient la culture aborigène sans reconnaître leur position de domination, ou quand il s’en prend à Andrew Bolt, un chroniqueur démagogue de par chez lui. J’y reconnais ce que je ressens pour les têtes à claques médiatiques de mon propre patelin.
Liddiard est un parolier habile et exigeant, qui étire ses images en longueur et fait des coq-à-l’âne déroutants, mais il y a une parfaite communion entre le ton de ses propos et la musique du groupe. C’est de la musique angoissante, par et pour des angoissés. Comme Liddiard le chante en début d’album, “les meilleures chansons sont comme des mauvais rêves”. Si c’est là que ça vous démange, The Drones grattent bien et fort. Il se peut même que ça saigne un peu.
Ma note: 8,5/10
The Drones
Feelin’ Kinda Free
Indépendant
40 minutes
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