Tanya Tagaq
Retribution
- Six Shooter Records
- 2016
- 47 minutes
Tanya Tagaq s’est fait connaître principalement en 2014 lorsqu’elle a remporté le prix Polaris pour son excellent Animism. La chanteuse de gorge innue exprime un large éventail de sonorités possibles avec sa gorge. Elle passe des chants des plus gutturaux aux aiguës similaires à la jouissance féminine. Cette polyvalence lui permet de créer des pièces colorées et évocatrices.
Sur Animism, Tagaq se concentrait sur la vie qui existe dans la faune et lui donnait une voix face à cette humanité qui trop souvent la maltraite. Sur Retribution, les voix tues qu’elle défend portent des marques bien plus profondes et lugubres. Cette fois-ci, Tagaq nous parle de viol. Du viol de ces femmes autochtones, du viol d’enfants sans défense et du viol de la terre que l’être humain commet chaque jour sans vergogne. Elle n’y va pas avec le dos de la cuillère et crée encore une fois des trames impressionnantes à la portée politique et sociale puissante.
Son propos se fait d’autant plus clair avec la reprise de Rape Me de Nirvana qui clos la galette. Une version bien différente de celle de Cobain. Accompagnée d’un tambour et de quelques instruments bien discrets, elle crée une trame à partir de chants sur laquelle elle superpose les paroles chantées d’une voix douce, quasi enfantine. Son «Rape me/Rape me my friend/Rape me/Rape me again» prend un sens beaucoup plus lourd. Elle se permet de modifier la version originale pour y ajouter un «Beat me» en lieu des paroles originales lors du troisième couplet. C’est d’une sobriété et d’une noirceur à vous en glacer l’esprit. Les poils vous hérisseront assurément sur les bras.
Tagaq nous offre encore des pièces où elle semble incarner des voix venues de l’enfer. La puissante et animale Aorta ainsi que Nacreous nous rappelle qu’elle peut nous effrayer avec une violence incroyable à l’aide de ses cordes vocales. La femme innue se permet tout de même de sortir de sa zone de confort sur Retribution. La surprenante Center est une pièce de hip-hop qui compte sur la participation du talentueux Shad. La collaboration est très efficace et le résultat à la fois mélodieux et groovy. Tagaq fait aussi beaucoup de place à des voix plus fragiles sur ce nouvel album. Sur Summoning, nous en avons plusieurs bons exemples. Les plaintes évoquent la souffrance, celle des femmes autochtones lorsqu’ils leur ont fait ces choses horribles.
Tanya Tagaq ne dépasse pas le cadre simplement musical pour la première fois. Ses albums portent toujours une lourde charge émotionnelle. Retribution porte avec brio la souffrance de ces femmes qui n’a jamais été écoutée et que la société a tenté d’oublier. Elle ramène à l’avant-plan ces voix oubliées qui ont souffert. C’est à la fois un excellent opus et une charge politique puissante et dévastatrice. Car oui, le silence a suffisamment perduré et Tagaq le brise avec force et aplomb.