Tame Impala
Deadbeat
- Columbia Records
- 2025
- 55 minutes
Beaucoup d’encre a coulé dans les semaines, voire les mois, qui ont précédé la sortie de Deadbeat, le cinquième album studio du multi-instrumentiste australien Kevin Parker, alias Tame Impala. À l’écoute des trois premiers simples qui ont précédé la sortie de vendredi dernier, ses plus virulents détracteurs et adeptes de la première heure lui ont rapidement reproché de prendre un virage commercial et ont débattu fort avec ses admirateurs moins sceptiques sur de nombreux subreddit obscurs. Certains s’en sont pris à son entrée dans l’univers house avec End Of Summer, un brûlot assez longuet qui brouille les cartes entre pop/rock psychédélique et musique électronique. D’autres sont montés aux clochers, critiquant Loser, un extrait aux antipodes du premier énuméré plus haut, mais qui, selon plusieurs, manquait d’inspiration. C’est finalement le troisième simple, Dracula, qui en a ajouté une couche supplémentaire. Ici, je ne peux qu’être d’accord. Ses textes assez faibles, son instrumentation halloweenesque électronique et disco et son imitation plus ou moins réussie de The Weeknd m’ont aussi laissé de glace.
Qu’en est-il des neuf autres chansons figurant sur l’album? Tame Impala a-t-il vendu son âme à Sony? Le reste de sa carrière sera-t-il dédié aux campagnes publicitaires automobiles? Regardons ça de plus près.
Dès nos premières écoutes de Deadbeat, on ressent que l’impala n’a pas été entièrement dompté, mais pas loin. Parker n’est toutefois pas en reste créativement et il explore de nouvelles avenues. Il nous offre une douzaine de pièces aux sonorités résolument différentes de ce qu’il nous offrait sur The Slow Rush il y a cinq ans. Dans cette veine, il délaisse les guitares et le rock et priorise les hymnes dansants qui nous feront bouger au club ou à la salle de sport. Par contre, ne nous cachons pas, il y a quand même de nombreux ratés parmi ceux-ci.
Les choses démarrent cependant assez bien au son de My Old Ways, un morceau rebondissant construit autour d’une loop de piano. Sur celui-ci, Parker nous parle de ses difficultés à briser de mauvaises habitudes, malgré sa volonté de changer les choses. L’énergie du deadbeat, cette personne paresseuse qui refuse obstinément d’affronter ses responsabilités, correspond bien à cette entrée en matière. Une longue introduction acoustique, qui aurait pu être enregistrée avec son iPhone, ouvre l’album avant que les basses rentrent au poste et qu’on découvre un nouveau couplet. « I know what’s comin’, ain’t so shockin’ / Always fuckin’ up to something / Ego’s strummin’, shan’t be stoppin’ », répète-t-il bien humblement, avant qu’on soit emporté dans un fin psychédélique plutôt intéressante entre synthés funky et ligne de basse omnisciente.
Les choses ne se gâtent pas immédiatement. No Reply nous offre un autre moment de réflexion personnelle. Kevin s’ouvre à nous et se cogne sur le clou. Basses vrombissantes, pulsations entrainantes, synthétiseurs attachants, tous ses éléments se bousculent sur cet air house et électronica qui permet au musicien d’ouvrir sa besace et de nous faire part de ses doutes, ses angoisses sociales et la vulnérabilité qu’il ressent lorsqu’il essaie de connecter avec les autres.
Was I impolite? Was that joke alright?
I just want to seem like a normal guy
You know how it’s like, try to see my side
You’re a cinephile, I watch Family Guy
– No Reply
Puis, on frappe un mur. La succession des chansons Dracula, Loser et Oblivion nous donne l’impression que rien ne relie ces morceaux stylistiquement. La première arrive avec ses textes fades, sans inspiration et répétitifs. Elle est suivie par Loser, l’extrait le plus rock de l’album (sans véritablement l’être), avant de nous laisser sur Oblivion, une curieuse pièce au rythme lassant trop simple et aux effets sur sa voix sans intérêt.
La suivante, Not My World, se déploie similairement au single End Of Summer, mais se conclut avec un passage psychédélique plus original et atmosphérique sur lequel le musicien répète que ce n’est pas son monde ici. C’est mieux.
Heureusement, Piece Of Heaven vient redorer un peu Deadbeat. On retrouve le Kevin Parker des vieux albums, avec un morceau pop nostalgique plus complexe, texturé et qui correspond enfin à la qualité de la musique à laquelle il nous a habitués avec les années. L’instrumentation de cette chanson rappelle d’ailleurs Orinoco Flow, pièce de 1988 de la chanteuse irlandaise Enya.
C’est Afterthought qui offre le prochain moment fort de l’album avec son refrain addictif et sa production rebondissante. Une ligne de basse puissante, rappelant fortement celle de Thriller de Michael Jackson, nous fait hocher de la tête, et ainsi, l’avant-dernière piste du disque (la préférée de son créateur) nous offre un autre moment salvateur.
Un peu avant, le banger club électro Ethereal Connection ne me laisse pas indifférent également avec ses 7 minutes et demie sur lesquelles Parker s’amuse abondamment avec ses synthétiseurs et des climax plus satisfaisants que sur End Of Summer.
En entrevue avec Zane Lowe, Kevin Parker répond à ses fans qui l’accusent de prendre un tournant commercial. Selon lui, reproduire Currents, The Slow Rush, ou un album garni de morceaux comme Elephant, lui aurait permis de se retrouver « dans toutes les publicités de voitures aux États-Unis. » C’est vrai, sur Deadbeat, il ne tire pas dans la même direction que sur ses projets antérieurs. Visiblement, il a encore le goût du risque. Il ose avec ses morceaux les plus dansants à ce jour, et sur quelques-uns d’entre eux, ça marche. Cet album reste toutefois une heure assez fastidieuse garnie d’extraits qualitativement en dessous de ce que l’Australien nous a habitué dans le passé. Je me permets de citer le collègue LP Labrèche au sujet de ce disque: « Deadbeat, c’est un peu comme essayer de faire cuire un poulet entier au micro-ondes. » L’ami devait avoir faim, mais pas le choix de lui donner raison pour cette allégorie qui témoigne bien de la fadeur de cette galette.