Entrevue | Critique Love: ombres et lumière
La grisaille qu’amène l’automne n’affecte pas le moral d’Antoine Binette Mercier, le sympathique musicien derrière l’entité Critique Love. Celui-ci me confie qu’il y voit du bon avec le mauvais temps, notamment du côté de la productivité, alors que les rayons chauds de l’été peuvent parfois le sortir trop facilement de son mojo créatif.
L’artiste, reconnu initialement pour son travail de son à l’image pour des séries et des films, pourrait tout de même s’accorder une pause bien méritée. Il y a un peu plus de trois semaines, il a dévoilé son premier album personnel, un disque éponyme étoffé, regorgeant de sonorités rock orchestrales et sombres, qui témoigne notamment de son amour pour le cinéma. C’est un projet qu’il a porté pendant de nombreux mois, épaulé par certains des musiciens les plus prisés de la province, comme Simon Angell (guitares), Robbie Kuster (batterie, percussions) et Estelle Lemire, qui ponctue magnifiquement l’album aux ondes Martenot, instrument qui ajoute une texture presque addictive sur chacune des pièces.
Binette Mercier, quant à lui, se charge de la réalisation, de la composition, des arrangements et des textes en français, tandis que les textes en anglais sont signés par la talentueuse Frannie Holder. Il joue de nombreux instruments sur la galette et s’occupe également de la prise de son. Pas besoin de préciser que c’est un projet qui lui tient particulièrement à cœur.
La vulnérabilité
Pour toutes ces raisons, l’homme derrière Critique Love vit une foule d’émotions depuis la sortie de son projet. L’anticipation a fait place à la vulnérabilité après avoir porté ce disque à bout de bras pendant plusieurs mois de création. « J’me mets à nu et j’attends les roches », me confie Antoine en rigolant. Ce léger cynisme semble, toutefois, l’habiter réellement, alors qu’il fait état d’une certaine dépression post-partum depuis la sortie de cet opus. Sans s’être fait trop d’attentes face à la réception du public à son projet et n’ayant pas créé ce disque en envisageant se frayer un chemin sur les ondes de radios commerciales, l’artiste ressent toutefois une certaine lassitude à voir son album voler de ses propres ailes sur les plateformes d’écoute en ligne. « Critique Love devient un album de plus parmi tous les autres sur Spotify », remarque-t-il. Pas faux. L’abondance de projets musicaux, surtout en cette période frivole qu’est la rentrée culturelle, pourrait potentiellement décourager un artiste. Cependant, à travers ces doutes, Antoine Binette Mercier se raccroche à la singularité de son projet et au travail collaboratif qui l’a fait naître.
La romance quand ça va mal
C’est l’artiste visuel britannique Joe Webb qui est derrière la pochette de l’album Critique Love, et, pour l’auteur-compositeur-interprète, elle symbolise assez bien l’énergie du disque. On y voit un couple se baladant au volant d’une jolie voiture décapotable, se rapprochant toutefois dangereusement d’une inquiétante déflagration. « Je trouvais que ça fittait avec le côté apocalyptique de l’album, son côté fort, mais aussi avec la douceur et l’aspect romantique de celui-ci », mentionne-t-il. « C’est comme ça que j’avais l’intention de créer. Avec des moments de douceur mêlés à une grande intensité et de la sérénité, mais explosifs et fatals à la fois. » Et tout ça, ça s’entend aussi dans Critique Love. Antoine Binette Mercier s’inspire de sujets relationnels durs, mais fertiles, comme l’infidélité par exemple. Ce dernier se plonge dans ces émotions contradictoires, souvent laissées de côté dans la création, mais qui pourtant méritent d’être explorées en textes. C’est d’ailleurs ce qu’il fait sur les chansons Adultère et Comme avant.
À travers ces thématiques plus dures, l’artiste chante de sa voix rauque, voire d’outre-tombe, mais sensible aussi, offrant des pièces minutieusement ficelées aux instrumentations toujours marquées par cet amour pour la musique de film, comme celle de Jonny Greenwood, par exemple. Ce dernier signe la magnifique bande sonore du dernier film de Paul Thomas Anderson, One Battle After Another (à voir).
Même si les sensations d’après parution s’entrechoquent, Critique Love pense déjà à la suite, espérant notamment collaborer sur scène avec son fidèle ami Julien Sagot (Karkwa) ou encore retourner sous peu à la table à dessin dans le but de se replonger entièrement dans la création. D’ici là, on accueille l’automne et ses nuances sombres et claires à la fois, au son d’un album construit de manière bien similaire.
L’album Critique Love a vu le jour le 5 septembre dernier et est disponible ici.
*Cet article a été rédigé en collaboration avec Simone Records.
Crédit photo: Camille Gladu Drouin