Critiques

Damso

J’ai menti

  • Trente-quatre centimes
  • 2024
  • 34 minutes
5,5

Bof. Tu nous as habitués à tellement mieux, Damso. En écoutant J’ai menti, sorti la semaine dernière, on peine à croire qu’il vient du même artiste qui signait ce petit chef-d’œuvre qu’est Qalf infinity, paru il y a à peine trois ans. Damso reconnaît son penchant mythomane dans le titre de ce nouveau projet alors qu’il avait annoncé, plus tôt dans l’année, ne rien faire paraître jusqu’au lancement de BĒYĀH, en mai 2025, supposément son ultime album en carrière. Un fan, croisé dans la rue l’été dernier, lui aurait fait changer d’avis. Initialement imaginé comme un EP, le projet s’est petit à petit transformé en un album tant Damso se sentait pousser des ailes (créatives) en studio. « J’ai menti », donc.

Le problème principal de ce nouveau disque signé Damso : il manque généralement cruellement d’audace dans la proposition, malgré les promesses de renouveau du Bruxellois. Ce n’est pas en disant « beat switch » au milieu de CHROME pour lancer une production drill insipide à la Frenetik que le rappeur va surprendre (bien que le flow, dans la deuxième partie de cette introduction, soit sûrement le plus convaincant de tout l’album). Ce n’est pas non plus en mettant quelques secondes de flûte à la fin de Laisse-moi tranquille, d’ailleurs horriblement mixé, que nous allons tous nous sentir forcés de lâcher des « wow! » bien sentis. Il en est capable, de produire cette petite étincelle de génie. Plus qu’une étincelle, un vrai feu de bois. On l’a vu avec Julien, chanson qui aborde la pédophilie avec tact, l’Introduction de Lithopédion, qui lie brillamment l’album avec la clôture d’Ipséité, ou encore Γ. Mosaïque solitaire, au texte qui ferait frémir beaucoup d’aspirants auteurs. Il en est capable, ce Damso. Mais là, aujourd’hui, avec J’ai menti… la sauce ne prend simplement pas, c’est banal.

Après Silence et Démons, vraies perles de la musique belge contemporaine, les attentes étaient grandes pour Tout tenter, en collaboration avec Angèle : au final, encore une fois, grosse déception. Le refrain chanté par sa compatriote est quasiment énervant et la production pop du morceau est fade au possible. Comme si Damso avait perdu sa patte. Les quatre collaborations de l’album manquent diablement d’identité, surtout Limbisa ngai avec Kalash Criminel, titre noyé dans un afrobeat stérile déjà entendu 1000 fois ailleurs. Les productions ne sont pas assez soignées, donc, mais les textes ne le sont également pas. Si Damso répète sans cesse dans sa tournée médiatique que J’ai menti est un album introspectif, on peine pourtant à en apprendre beaucoup sur lui. Le rappeur dit à chaque chanson que les femmes l’obsèdent et qu’il trompe régulièrement sa compagne (chose que l’on savait d’ailleurs déjà depuis 2018 alors que l’artiste écrivait dans William « J’aime trop la femme pour en aimer qu’une : mon plus grand défaut »). Oui, et puis? Où sont les confessions, les peurs que doit vivre ce nouveau père déjà évoquées dans DEUX TOILES DE MER? Où sont les critiques acerbes dirigées à l’encontre de l’industrie qu’il veut apparemment tant quitter à 32 ans? Où sont les bienfaits de sa fameuse « thérapie musicale »?

Comme par magie, alors que tout espoir avait été perdu (pour ma part), trois très bons morceaux viennent ponctuer l’album. Un peu étrange qu’ils soient rassemblés à la fin du projet, et surtout qu’ils détonnent à ce point avec le manque de prises de risque de J’ai menti. 24h plus tôt s’immisce dans la tête d’un dépressif qui commet un attentat meurtrier, sans forcément humaniser l’être détruit, alors que le texte de DAMSAUTISTE révèle de vraies réflexions sociétales intelligentes. La rue est morte est quant à elle la meilleure chanson du projet, de loin. C’est un « must » de l’artiste, même, il se retrouvait sans aucun doute sur son best-of. Damso marmonne un texte comme un vieux chanteur des années 70, tout en superposant les mêmes paroles chantées en écho. C’est beau, touchant, surtout quand on comprend la nostalgie qu’il aborde dans le titre. Nostalgie paradoxale, parce que « l’avant » n’était pas nécessairement plus beau que « le maintenant ». À l’image du reste de la discographie de l’artiste : les meilleures chansons de Damso sont rarement ses plus grand public.

Ce trio de belles chansons ne suffit pas à faire de J’ai menti un bon album, mais ça le sauve d’un vrai naufrage. Je ne pense pas que Damso soit un artiste qui excelle dans la spontanéité. Il a un plan de carrière, visiblement tracé depuis Salle d’attente, en 2014, et déroger à celui-ci allait, à mon sens, forcément aboutir sur une erreur de parcours. Dommage, parce que depuis Batterie faible, il était sur un vrai sans-faute. Le plus grand des rappeurs franco-belges n’est donc pas parfait. En espérant que BĒYĀH sera bien, bien plus abouti que J’ai menti.

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