Critiques

Godspeed You! Black Emperor

NO TITLE AS OF 13 FEBRUARY 2024, 28,340 DEAD

  • Constellation Records
  • 2024
  • 54 minutes
8
Le meilleur de lca

Les infatigables révolutionnaires de Godspeed You! Black Emperor nous reviennent cette semaine avec un album sans titre, ou simplement avec un album dont le titre n’a pas la prétention d’en être un : NO TITLE AS OF 13 FEBRUARY 2024, 28,340 DEAD. Près de 30 000 Gazaouis morts, en date du 13 février 2024, depuis que le conflit israélo-palestinien s’est envenimé à nouveau, l’année dernière. Pas une seule seconde du projet écoutée que l’auditeur est déjà confronté à cette inévitable violence. « Cher fan, trop de sang a coulé de l’autre côté du globe, vous n’aurez pas le droit à un titre. » Très Godspeed, tout ça.

La première pièce de l’album, SUN IS A HOLE SUN IS VAPORS, débute dans une ambiance métallique et vaporeuse. La guitare hachurée se fait entendre, le violon de Sophie Trudeau également, mais il est dur de discerner clairement d’autres instruments dans cette introduction. SUN IS A HOLE SUN IS VAPORS semble un peu… mou et dispersé? La pièce de cinq minutes agit véritablement comme un préambule et n’a pas la prétention d’un Mladic ou d’un The Dead Flag Blues, en la comparant à d’autres entrées en matière de GY!BE.

Trois longues pièces viennent ensuite ponctuer l’album (la quatrième et la cinquième chanson n’en font en réalité qu’une) dans un style propre à Godspeed : crescendo, fracas sur l’apogée, puis decrescendo. On ne demanderait pas aux Stones de faire autre chose que du rock après 60 ans de carrière, alors pourquoi demander à GY!BE de se renouveler après seulement 30 ans de musique, hein! BABYS IN A THUNDERCLOUD est particulièrement entêtante, avec un bel effet d’écho lointain rompu par une incessante tierce majeure portée par la basse, comme le supplice de la goutte d’eau. Tac, tac, tac. Le rythme s’accélère, la cadence n’arrête pas, l’intervalle se répète, se répète et se répète encore.

Bonne chanson, mais les deux suivantes sont encore meilleures. Les sons de la nature, des oiseaux sur RAINDROPS CAST IN LEAD laissent place à une guitare électrique en reverb prenant de plus en plus d’ampleur. Les instruments s’ajoutent petit à petit, la tornade gronde. La première montée est intéressante, mais c’est surtout l’incroyable deuxième crescendo qui vole la vedette. Les membres de Godspeed You! Black Emperor alternent entre les accords majeurs de fa et de si bémol au deuxième renversement pendant quelques minutes. L’instant est particulièrement bruyant et « pop », on s’attendrait presque à ce qu’Efrim Menuck ou un autre commence à chanter! Rares sont les moments où l’on entend Godspeed être aussi harmoniquement « classique », si je puis le dire comme ça.

Les trois minutes et demie de BROKEN SPIRES AT DEAD KAPITAL renferment un caractère dramatique profondément maîtrisé alors que PALE SPECTATOR TAKES PHOTOGRAPHS, s’enchaînant sans pause sur la chanson précédente, livre un interlude à la légère, mais perceptible influence de musique arabe. L’écho acéré des guitares se fait de plus en plus présent, on sent que ça va exploser d’une minute à l’autre. GY!BE prend le temps d’apprivoiser l’auditeur avant de lui asséner l’un de ses derniers coups. Et quel coup, cela dit! L’avant-dernière pièce de l’album est de loin la plus anxiogène de ce dernier opus, elle donne des frissons, des vrais.

GREY RUBBLE – GREEN SHOOTS clôture le disque avec l’intervention la plus marquante de l’indispensable Sophie Trudeau. Sur un rythme prog, tranquillement, Godspeed You! Black Emperor disparaît. Tranquillement. Accord de do mineur à la guitare, puis c’est terminé pour de bon. Sur les décombres de Gaza fleurissent des pousses vertes. Si pessimistes que ça alors, les Godspeed?

Comme l’avait si bien écrit le grand manitou Louis-Phillipe Labrèche il y a quelques jours dans le top du Canal Auditif des albums de Godspeed, la formation montréalaise semble simplement incapable de faire un mauvais album. Il y a du très bon, et il y a du très, très bon dans le lot. NO TITLE AS OF 13 FEBRUARY 2024, 28,340 DEAD appartient plutôt à la première catégorie. Aucune des pièces de l’album ne dépasse les 15 minutes, peut-être aurait-il fallu allonger la sauce pour rendre les crescendos d’autant plus grandioses et décapants? Question rhétorique. Enfin non, peut-être pas, on le verra en concert.

Godspeed You! Black Emperor ne nous livre aujourd’hui plus des chefs-d’œuvre intemporels comme il était capable de le faire à la fin des années 90 et au début des années 2000, mais faire paraître un fabuleux disque comme NO TITLE AS OF 13 FEBRUARY 2024, 28,340 DEAD après une dizaine de projets lancés, ce n’est vraisemblablement pas donné à tout le monde.

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