Portrait de Denise Lebreux | Femme de passion, femme de tête
À Petite-Vallée, Denise Lebreux est plus qu’une vedette, elle fait partie des piliers de la communauté qui a permis à ce petit village de la Gaspésie de devenir une plaque tournante importante de la musique québécoise.
On va commencer avec le commencement : partout à Petite-Vallée, on entend toujours des gens qui disent : « ahhh elle est chez Madame Denise. » Cette fameuse Madame Denise qui, pendant des années, a tenu la Maison Lebreux. Cette auberge blanche et rouge a accueilli de nombreux musiciens en tournée. Plus qu’une simple auberge, cette maison a été un lieu important pour la communauté et la démonstration que contre vents et marées, il y a sur la Longue-Pointe des gens qui se tiennent debout, fiers et prêts à faire face à tous les défis.
Une tradition d’accueil
Pour comprendre le naturel avec lequel Madame Denise accueille les gens, il faut remonter plus loin. Avant d’être le Théâtre de la Vieille Forge, le bâtiment adjacent à l’auberge était… une forge. Des gens passaient pour faire réparer différents morceaux d’équipement à la boutique. Comme à l’époque, on se promenait en chevaux, cela voulait dire aussi que les gens se retrouvaient à souper sur place : « Mon père était le forgeron du village. Quand les gens arrivaient pour faire réparer une roue ou autre chose, ils arrivaient en cheval et donc ne repartaient pas la même journée. Mon père disait : « Jeanne en a fait pour 12 ou 13, un de plus ou un de moins… » »
Il y a aussi un autre côté à cette histoire qui réside dans le péché. La Longue-Pointe est en retrait de la route principale et cela rend cet endroit très stratégique pour avoir du plaisir. À l’époque, les soirées dansantes étaient défendues par le curé du village. Lorsque des membres de la famille élargie visitaient, ils restaient quelques jours et les soirées viraient comme on dit. Les instruments se faisaient aller et les pas de danse retentissaient dans la nuit froide de la Gaspésie.
Tout ceci pour dire que lors de sa jeunesse, Madame Denise avait compris que l’accueil est important et que cela donne lieu à de beaux moments. « C’est un grand bonheur d’accueillir des gens chez nous. Et ça devient des amis, des amis pour la vie. »
Faire face au vent
Madame Denise a le sourire facile quand elle vous parle ou encore quand on la voit se promener de concert en concert pendant le festival. Mais comme tout un chacun, elle a vécu son lot d’épreuves. Deux de ses frères sont morts en mer. Ce sont des histoires toujours très tristes qui sont trop communes dans les familles de pêcheurs québécois. Suite à la tragédie, la Maison Lebreux où vivaient encore les parents de Madame Denise et sa sœur était devenue moins gaie qu’à son habitude. Sa sœur lui a demandé d’y emménager avec ses enfants, chose qui a été faite.
Il faut comprendre aussi une autre chose très personnelle à propos de Madame Denise. Elle fait partie de ces rares femmes qui se sont divorcé à une époque où ce n’était pas aussi simple qu’aujourd’hui. La goutte qui a fait déborder le vase est l’absence de son ex-mari aux funérailles de sa mère parce qu’il avait pris congé et qu’il était parti faire la fête. Tannée des mauvais coups d’un alcoolique, Madame Denise a décidé que c’en était assez. Si Madame Denise est d’une bonté chaleureuse, il ne faut pas non plus abuser de sa gentillesse. Elle n’est pas niaise. Tout le contraire. Ainsi, toute la petite famille a déménagé dans la maison Lebreux qui a repris graduellement vie. C’est là qu’Alan Côté, fondateur du Festival en chanson de Petite-Vallée et fils de Madame Denise, connaîtra à son tour le goût de ses grands-parents pour les maisons bien pleines, les soirées musicales et le théâtre.
La naissance d’un festival
Madame Denise me glisse à basse voix, comme si c’était un secret que la raison de naissance du Festival de la parenté, ancêtre du Festival en chanson, était la naissance du Carnaval de Québec. Voulant à leur tour faire une activité hivernale, les habitants de Petite-Vallée ont décidé de lancer leur propre festival. Au début, les villages autour venaient en grand nombre, mais avec les années, les autres communautés ont décidé de lancer leur propre carnaval d’hiver. Ne se laissant pas abattre, les gens de Petite-Vallée ont décidé de déménager leur événement au printemps! Malheureusement, une fois de plus, certains villages avec des érables ont décidé de faire un festival des sucres. Toujours à la recherche d’une idée novatrice, les villageois ont trouvé : un festival de la parenté.
Il faut comprendre que Petite-Vallée est un petit village, mais comme le dit si bien Madame Denise : « Si tout le monde qui était né au village y était resté, on aurait un grand village, mais comme il manquait d’ouvrage, les gens sont partis habiter à Montréal et ailleurs. » De plus, la famille avait tendance à revenir passer une partie de l’été en Gaspésie pour les vacances. Ainsi, Madame Denise et « sa gang » ont décidé d’imprimer des pamphlets qu’elles ont distribués à l’église après la messe pour que tout le monde du village invite la famille à la même période.
C’est ainsi qu’est né le festival de la parenté. On y présentait des pièces de théâtre montées par les gens de la communauté, dont sa cousine Andrea Lebreux. Madame Denise se rappelle du succès de leur adaptation de Ti-Coq de Gratiens Gélinas pendant laquelle, elle faisait mine de fumer une cigarette, mais ne sachant pas comment, elle n’était pas très convaincante. En revanche, elle était drôle! Il y avait aussi beaucoup de musique pendant le festival parce que plusieurs membres des familles étaient ferrés en matière de talent musical. Au point où lorsque l’organisation a fait l’erreur de faire venir un musicien de Montréal, les billets plus chers et le manque de lien familial n’a pas fait plaisir à la communauté.
Le Festival en chanson
Au cours des années, le festival de la parenté devenait une organisation qui roulait rondement, mais certains jeunes (Alan Côté, pour ne pas le nommer), aspirait à faire un festival entièrement dédié au côté musical. C’est ainsi que le Festival en chanson de Petite-Vallée est né. Madame Denise était depuis les débuts sur le CA de l’organisme. Au début, elle a mis les bouchées doubles. C’est Madame Denise qui a convaincu des journalistes de Radio-Canada de s’intéresser à l’événement qui avait lieu sur la Longue-Pointe.
Elle avait une visée pour le festival et c’était que Richard Séguin soit éventuellement le parrain (aujourd’hui ce sont les passeurs). Lorsque celui-ci a accepté en 1993, c’était le signe qu’elle avait réussi sa mission au sein du CA et elle a laissé sa place à d’autres. Ceci étant dit, elle n’a pas pris ses distances pour autant. Madame Denise fait partie d’un groupe de femmes qui est aux premières rangées de tous les spectacles et c’est encore vrai à ce jour.
Ses chums
Il serait difficile de passer sous silence que Madame Denise s’est fait au fil des années un fan-club de musiciens parmi lequel on compte Michel Rivard, (le beau) Richard Séguin, Pierre Flynn et plusieurs autres auteurs-compositeurs-interprètes reconnus de la Belle Province. Quand on lui demande, lequel a le plus impressionné lorsqu’il est entré à la Maison Lebreux, Madame Denise n’hésite pas du tout : Gilles Vigneault.
« C’est impressionnant recevoir Gilles Vigneault à la maison. Au début, c’était impressionnant, mais ça n’a pas duré. J’avais un ouvre-boîte avec un pine pis la maudite pine était tombé à terre. Mon Gilles Vigneault à quatre pattes dans cuisine : on cherche la pine à Denise. Mon Dieu qu’on a ri. »
Cet amour que les musiciens lui portent n’est qu’un miroir de la chaleur et l’amour qui font de l’accueil de Denise Lebreux, une expérience humaine hors du commun. Et ça explique aussi pourquoi année après année, les gens reviennent à la Longue-Pointe pour chanter, danser et jouer de la musique.
Avancer toujours
Elle raconte que récemment elle s’est fait donner des photos de la Maison Lebreux à travers les années, mais qu’elle se refuse à les regarder. Il faut dire que les pertes coup sur coup du Théâtre et de la Maison Lebreux ont été des événements bien difficiles pour Petite-Vallée. « Le théâtre, j’ai eu beaucoup de peine. Je me souviens de regarder le théâtre en train de bruler en haut de la côte avec mes soeurs. La maison j’y était attaché. Mais ces choses-là on ne va pas les amener avec nous dans la mort. »
Et ce regard toujours tourné vers l’avenir explique la vivacité et la curiosité de Madame Denise. Quand on lui parle de ce qu’elle aime bien comme musique en ce moment, elle parle du dernier album de Philippe Brach, le chanteur beau comme un cœur, mais qui a toujours trop les cheveux dans la face.
Et ses aspirations? Retrouver ses cordes à linge une fois que le chapiteau sera parti pour faire place au nouveau Théâtre de la Vieille Forge (qui sera en construction prochainement). À l’époque des grands jours de la Maison Lebreux, il fallait laver les draps tous les jours et les étendre sur les cordes à linge. Il faut dire que c’était des cordes à linge particulièrement résistantes puisqu’elles doivent faire avec le vent parfois houleux de la Longue-Pointe.
Vivement de nouvelles cordes à linge, une nouvelle Coupe pour le Canadien (Madame Denise est une grande fan et aime bien le p’tit Cole) et encore bien des années de musique sur Longue-Pointe. Denise Lebreux peut être fière de ce qu’elle a construit avec sa passion et ses mains. C’est pour cette raison, qu’elle est récipiendaire de la médaille de l’Assemblée Nationale. C’est grâce à des femmes comme elle que des villages peuvent traverser les époques et rester debout contre vents et marées.
Merci à Patrice Michaud et Pat Tousignant qui ont généreusement accepté de me parler pour la préparation de cette entrevue. Merci aussi à Olivia Cyr le soutiens technique. Et finalement un grand merci à Denise Lebreux d’avoir pris le temps de me parler de sa riche et impressionnante vie. Cet article a été créé en collaboration avec le Festival en chanson de Petite-Vallée.