N Nao
L’eau et les rêves
- Mothland
- 2023
- 43 minutes
N NAO est le nom adopté par la musicienne Naomie de Lorimier depuis quelques années, tant en solo que dans ses collaborations, notamment avec Joni Void, Lysandre, Zouz et Simone Provencher. Le matériel qu’elle avait présenté jusqu’à présent, et ce qu’elle apportait aux projets auxquels elle participait, était de nature à la fois délicate et intense et reposait principalement sur des textes imagés évoquant nature et mysticisme, et sur la voix éthérée de de Lorimier.
J’ai pu voir N NAO sur scène à l’été 2022 accompagnée de deux musiciens, et j’ai eu le souffle coupé. Les démos que de Lorimier avaient enregistrés seule étaient métamorphosés et s’élevaient à un niveau stupéfiant par l’interaction entre les trois artistes. J’avais donc très hâte de voir comment N Nao capterait toutes ces nouvelles possibilités sur album.
Arrivait donc en mars 2023, L’eau et les rêves, qui reprend les six pièces du démo La plus belle chose mis en ligne en février 2021, plus six nouvelles pièces. D’entrée de jeu, la formation (complétée par Charles Marsolais-Ricard, Samuel Gougoux, Lysandre Ménard et Étienne Dupré) nous catapulte en orbite avec la pièce Saison des orages, qui nous transporte par la mélodie poussée par de Lorimier, et qui nous déstabilise avec des moments où le rythme semble s’effondrer. L’inventivité ne dérougit pas pendant les pièces suivantes, notamment dans Nos endroits, qui marie boîte à rythmes, basse sans frettes et autotune démesuré, une combinaison qui pourrait sembler horrible sur papier, mais qui fonctionne à merveille. J’ajouterais que l’ordre des chansons, comparé à celui du démo, est très judicieux. Ouvrir avec Saison des orages coule de source, et Lac Léman a plus d’effet quand elle n’est pas en ouverture.
Les textes de N NAO sont uniformément courts, exprimant brièvement des moments d’épiphanie ressentis face à la nature ou à l’humain, ou le pouvoir persistant d’un rêve une fois le sommeil terminé. La brièveté des paroles entraîne un effet de lenteur dans la voix et un étirement des syllabes qui ne les met pas toujours en valeur, mais mes réserves à cet égard pèsent très peu comparées à ce que le groupe arrive à faire, beaucoup plus important à mon avis: trouver la façon d’incarner musicalement le même sentiment d’extase passager et fragile que ce qui est exprimé dans les paroles.
J’ai tout de même quelques bémols. D’une part, l’ASMR m’horripile. C’est mon problème, mais je trouve ça insupportable. La voix de N NAO s’y prête naturellement, et les aigus dans ses “s” et ses consonnes affriquées sont captés de très près. Tout ça mène à quelques moments où je grince presque des dents (surtout dans Nymphes, qui est heureusement très courte).
L’autre bémol, et ce n’est pas vraiment un défaut des artistes en question ici, c’est que les pièces qui ne se trouvaient pas sur le démo La plus belle chose ne semblent pas tout à fait aussi achevées que celles qui y étaient. Ça suggère que la méthode employée demande du temps, de la collaboration et de l’exploration. Trouver le temps pour ces choses n’est pas si simple. J’écoute donc par moments en imaginant l’album encore meilleur qui aurait pu exister. Cela dit, ce qui se trouve ici est de grande qualité et m’a impressionné du début à la fin. Je souhaite au projet une longue vie et encore plus de temps pour réaliser son potentiel, car Naomie et ses musiciens tiennent quelque chose de vraiment spécial.