Sèxe Illégal
Spätkapitalismusik
- Indépendant
- 2022
- 39 minutes
Situé quelque part à mi-chemin entre un groupe de musique et un groupe d’humour, le duo Sèxe Illégal crée ce qu’il veut sans compromis : un podcast qui accueille des artistes musicaux méconnus, une comédie musicale probablement conçue sur les champignons et des albums indépendants. Visiblement, Mathieu Séguin (alias Paul Sèxe) et Philippe Cigna (alias Tony Légal) sont de grands fans de musique. En effet, contrairement à certains humoristes pour qui la musique est accessoire, Paul et Tony semblent privilégier autant l’humour que la musique dans tout ce qu’ils entreprennent. Cette formule se retrouve sur le dernier album Spätkapitalismusik : un équilibre entre sonorités riches électro-pop et commentaires sociaux bien ficelés, parfois dénonciateurs, parfois hilarants, souvent les deux en même temps.
Plus sophistiqué qu’un album de chansonnettes comiques à la guitare acoustique, Spätkapitalismusik présente un full band – Paul est à la plupart des instruments et Elyze Venne-Deshaies joue du saxophone – et tourne autour de thèmes sérieux, comme la surconsommation, la pauvreté, le capitalisme et l’écoanxiété. L’album se démarque également par son ton tranchant, sa vision réaliste et ses critiques intelligentes tout en conservant avec bonheur son style niaiseux.
D’abord, l’ambiance générale se rapproche de celle d’une boîte de nuit rock ‘n’ roll en pleine fin du monde. C’est l’alarme d’évacuation se transformant progressivement en musique électronique qui donne ce ton dès le début de la première chanson Sixième extinction de masse. Cette dernière parvient à susciter toutes sortes d’émotions contradictoires en raison de l’opposition entre la musique dansante et les paroles apocalyptiques. Qu’ils fassent rire ou pleurer, les cris de ralliement captent l’attention : « C’est quand? C’est où? / C’est maintenant, c’est nous / Boucherville, Tsunami / Saint-Eustache, Tsunami ». Un joyeux petit refrain approprié pour ceux et celles qui ne stressent pas assez.
Heureusement, le duo ne s’attaque pas aux cibles faciles. Par l’intermédiaire de la voix basse et suave de Tony et des harmonies vocales candides et résolues de Paul, les paroles accrocheuses écorchent autant les milliardaires grotesques sur Le Number One Hit de la galaxie que les centres commerciaux démesurés sur Dix30, en passant par la dépendance aux babioles sur Amazon (Prime). La poésie percutante qui donne à l’album sa couleur se retrouve sur presque toutes les chansons, y compris sur l’excellente et groovy Salaire Minimum qui critique, comme le titre l’indique, l’absurdité du quotidien d’une personne travaillant au salaire minimum. Aussi entraînante que crue, la chanson tape dans le mille : « Je fais un double demain / Parce que Manon est morte / Au salaire minimum / Je donne mon maximum / Mon maximum / Au salaire minimum ».
Au-delà des mots bien choisis, le groupe s’éclate musicalement. Moins rock que l’album précédent Rock Danger – une évolution surprenante plus que décevante –, le présent album se distingue par ses accents disco à paillettes et ses mélodies mélancoliques, sensuelles ou déchaînées. Ce dernier qualificatif s’applique notamment au captivant revirement dans Boucherville taedium vitae, qui raconte la vie rêvée d’un banlieusard ordinaire. Pour sa part, le côté sensuel du duo se dévoile sur la dernière chanson Qualia, sur laquelle les remarques perspicaces et désabusées marient le refrain doux-amer chanté dans un style séducteur à la Mike Brant : « Tendrement / Sensuellement / Fais-moi l’amour dans les ruines de l’État policier ».
Spätkapitalismusik est un album excitant, libre et rafraîchissant. Avec l’exploration musicale approfondie et le traitement de sujets importants et graves qui fait autant rire que réfléchir, Sèxe Illégal brouille les cartes. Est-ce un groupe d’humour qui fait de la musique ou un groupe de musique qui fait de l’humour? En tout cas, en raison de la nouvelle direction convaincante choisie sur Spätkapitalismusik, le duo prouve sa pertinence et donne envie d’en redemander.