Comment ça se passe une résidence d’Escale en chanson du Festival en chanson de Petite-Vallée?
Je vais l’avouer candidement, au moment d’embarquer dans l’auto pour me rendre à Notre-Dame-des-Prairies, je ne savais toujours pas ce que j’allais y trouver du tout. Mais je savais une chose : il y aurait quelque chose à raconter.
Photos par Alexanne Brisson (gallerie complète au bas de l’article)
Après avoir bravé le trafic sur Papineau pour aller chercher Alexanne qui allait immortaliser tout ça sur photos, on se prépare à aller au Carrefour culturel de Notre-Dame-des-Prairies. En rentrant dans l’auto, Alexanne me demande : « Fait qu’on va faire quoi au juste aujourd’hui? » Ça me ressemble beaucoup : avoir des idées un peu approximatives et de me pitcher dans le vide en espérant que le filet soit suffisamment éloigné du sol pour que je ne me fracasse pas le crâne par terre. J’ai fini quelques fois avec le nez aplati, mais règle générale, ça se passe plutôt bien.
Pour comprendre aussi ma fascination pour les processus créatifs, il faut aussi avoir une autre information importante en poche. J’ai une formation de comédien. Je me destinais, plus jeune, à refaire le monde à coup de pièces de théâtre. Vous devinerez, comme vous ne m’avez jamais vu dans 30 vies ou District 31, que ce n’est pas exactement ce qui s’est passé. Bref, j’ai eu un accident de parcours en chemin. Un maudit bel accident qui s’appelle Le Canal Auditif. Ce texte ne sera pas à propos de moi pantoute, mais je voulais vous donner quelques clés pour la compréhension de ce qui suit. Là-dessus, Alexanne et moi, on jase pendant la ride de char qui dure environ une heure entre Montréal et Notre-Dame-des-Prairies, une petite bourgade collée sur Joliette.
Longer le fleuve
En arrivant au Carrefour culturel, nous avons dû faire le tour à peu près trois fois avant de trouver la porte qui était débarrée. Dans cette ancienne église ronde, on retrouve quatre chansonneurs sur scène : Charlotte Brousseau, Dave Harmo, Jeanne Laforest et Étienne Dufresne. Autre clé pour la compréhension de ce qui se passe : les escales en chanson, c’est un processus d’environ 6 semaines mis en place par le Festival en chanson de Petite-Vallée depuis 2015 environ. Avant 2020, elles se nommaient les Destinations chansons-fleuves et c’était en partenariat avec le Festival de la chanson de Tadoussac. Depuis la pandémie, ça s’est recentré sur des arrêts à Notre-Dame-des-Prairies, aux Francos de Montréal, à Québec pour une résidence et un concert et finalement à Petite-Vallée pour les dernières semaines. Plusieurs artistes que vous connaissez y sont passés : Marie-Claudel, Lou-Adriane Cassidy, Léa Jarry, Ariane Roy et Étienne Coppée, pour ne nommer que ceux-là.
À Notre-Dame-des-Prairies, c’est le premier arrêt du processus. Une résidence d’environ une semaine qui se termine par un concert au Carrefour culturel, puis deux jours plus tard aux Francos de Montréal. Par la suite, ils quittent Lanaudière en longeant le fleuve pour rejoindre Paule-Andrée Cassidy à l’Ampli de Québec pour une autre résidence de création. Ici, la troupe des huit formée des quatre artistes nommés plus haut est complétée par Nathan Vanheuverzwijn, Melba, Mariko et Laurence Castera. Tout ce beau monde travaille avec Michel Faubert, Manuel Gasse, Jean-Sébastien « TiBass » Fournier et Lana Carbonneau d’un côté pour arranger les chansons et mettre en scène le concert, alors que Marie-Claire Séguin leur donne des cours d’interprétation.
Changer le patch
On réussit à pénétrer l’ancienne église toujours active (!?!). En tout cas, il y a encore des cierges et ils n’ont pas été épargnés par l’inflation! Dans tous les cas en entrant dans ce centre culturel, on entend tout de suite des notes qui arrivent à nos oreilles. On se faufile un peu gêné et parce qu’on ne veut pas déranger le travail des artistes sur scène. Après une fin de chanson, on se retrouve avec Michel Faubert devant nous qui, heureusement, ne se souvient pas de la fois que j’ai introduit Les Charbonniers de l’enfer en disant : Voici le Vent du Nord! Fiou. Bref, on nous présente à la bande de musiciens qui continueront de placer des pièces sur scène. C’est fascinant de les voir travailler sur des détails dans les chansons qui peuvent tout changer. Par exemple, un tout petit passage dans une chanson de Charlotte Brousseau où la batterie et la basse se taisent pendant un enchaînement de 3-4 notes qui donne un souffle nouveau à une chanson qui, à moins que je ne me trompe, est inédite.
On voit aussi la personnalité de chacun briller à travers ces moments intimes : l’aplomb impressionnant de Charlotte Brousseau et de sa voix ronde, le sens musical de Dave Harmo et Lana Carbonneau, la créativité d’Étienne Dufresne, le plaisir contagieux de Jeanne Laforest, les questionnements éternels et tendus vers le meilleur résultat de Michel Faubert, l’intelligence de Manuel Gasse et la profonde pertinence de TiBass. Et comme pour se rappeler que personne n’est parfait, ce dernier qui avait oublié de patcher un son sur un clavier (le changer en pesant sur des pitons) raconte que l’an dernier, il oubliait toujours au début d’une chanson de Léa Jarry et que huit fois, elle l’a regardé sur scène en disant : « Buddy, t’as oublié de changer le patch ». C’est tellement un excellent musicien, que ça me rassure qu’il ait une faille.
Ce qui m’a surpris le plus pendant les deux heures où on a regardé les musiciens échanger des idées, refaire une partie de chansons, refaire du début, changer de place un micro, etc., c’est la bonne entente qui régnait. Il n’y avait pas de place pour les égos. Tout le monde travaillait d’égal à égal à servir la chanson. Ça nous permet aussi d’entendre des phrases aussi nichées que : « les changes-tu tes accents toniques ou non? » La rencontre se termine sur un caucus pour confirmer des changements d’ordre de chansons demandé par les musiciens à Michel Faubert qui tout au long de la répète bougeait des feuilles de papier en quête de la perfection.
Casser la croûte en gang
À l’heure du lunch, tout le monde se rejoint aux tables à pique-nique à l’extérieur du presbytère après s’être préparé un bagel au saumon fumé accompagné de légumes. Des petits groupes se forment et ça jase de tout et de rien. J’en profite pour prendre des nouvelles de Nathan Vanheuverzwijn. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le nom, c’est un claviériste qui accompagne de nombreux artistes, dont Émile Bilodeau. Je suis surpris qu’il ait du temps pendant l’été pour faire ce genre de parcours pendant 6 semaines. Mais celui-ci m’explique que par le passé, il a terminé des étés complètement lessivés à faire toutes les dates inimaginables de tournée et qu’il ne prenait pas de temps pour lui. Cette fois-ci, il a décidé de faire quelque chose pour lui-même et de travailler sur ses chansons. Un geste tout à fait louable.
Il me raconte aussi l’intensité des cours avec Marie-Claire Séguin qui l’a bouleversé le matin même. Il faut dire que Marie-Claire m’avait « spotté » un peu plus tôt en me disant de venir au cours, que c’était important de comprendre la démarche que les artistes entreprennent. Je n’avais pas à me faire prier en toute honnêteté. C’était déjà dans mes plans.
J’en comprends aussi que les musiciens sont arrivés le vendredi (nous sommes maintenant mardi) et qu’ils dorment sur place. Leur horaire est vraiment tourné vers le travail : ils sont divisés en deux groupes qui travaillent séparément. Un groupe commence en plaçant des chansons avec Faubert, Gasse, Carbonneau et TiBass pendant que l’autre travaille l’interprétation et la présence avec Marie-Claire Séguin. Après le dîner, ils changent de place. Puis, c’est le souper où ils se retrouvent pour faire connaissance et parler. Laurence Castera me confie que lui et Jeanne Laforest sont un peu les « maman/papa » de la cuisine quand vient le temps de cuisiner. D’ailleurs, cette dernière était en train de ranger les restes du lunch à ce moment-là. La fin de soirée est laissée libre aux musiciens qui peuvent décanter ce qu’ils ont vécu pendant la journée et travailler sur leurs chansons au besoin.
Ouvrir, prendre tout ce qu’il y a l’intérieur, l’analyser et le replacer
C’est avec ces mots qu’on m’a décrit les moments passés avec Marie-Claire Séguin. Nous suivons donc Étienne Dufresne, Jeanne Laforest et Charlotte Brousseau vers le cours de l’après-midi. Dave Harmo avait un empêchement et ne pouvait pas y assister. Dès le début, elle met une pièce (chanté en portugais, je crois) qui grouille un peu. Je ne suis pas un expert en musique latine, mais j’aurais tendance à dire qu’on était dans le registre de la bossa-nova. La professeure me fait signe que je n’y échapperai pas et qu’il est temps de me faire aller le bassin. C’est à ce moment que mon passé me rattrape et que je me mets à gigoter avec la grâce d’un poisson qui vient d’être sorti de l’eau par un pêcheur. Je ne sais pas qui est le plus gêné, moi ou les musiciens. En tout cas, ce n’est pas Étienne Dufesne qui se met à me faire danser avec lui. Une pièce funk suit la première et s’assure de faire bien descendre le lunch une bonne fois pour toutes.
Puis, on s’installe pour le travail. Comme c’est très intime, je ne vais pas rentrer dans les détails. J’étais privilégié d’y être invité. Il faut savoir que la description du cours était juste. Séguin cherche la vérité et la performance. Il ne suffit pas d’interpréter la chanson, il faut la vivre viscéralement et la donner au public. À part quelques naturels déconcertants, la plupart des gens doivent apprendre à apprivoiser la présence scénique. C’est du travail être incarné devant un public et réussir à abandonner cette voix dans notre tête qui chuchote sans arrêt qu’on sera ridicule. Il faut pourtant réussir à la faire taire, ou en tout cas, la contrôler, pour être réellement avec les gens qui sont devant nous sans fard ni paillettes. Je salue le courage des trois artistes qui ont accepté qu’un maudit journaliste assiste à un moment de vulnérabilité, c’est tellement audacieux. Notons aussi la présence de Jean-Luc Éthier, dont les mains filent sur un piano plus aisément qu’une anguille dans l’eau.
Nous ne sommes pas restés jusqu’au souper parce que je vous aurais pondu un texte de 15 000 mots en 3 chapitres. Je peux dire par contre que dans les témoignages qui m’ont été faits, mais aussi dans ce que j’ai vu de mes propres yeux, les escales en chanson sont un parcours massif et dense qui permet à des artistes de travailler leur art et c’est nécessaire. Au moment où nous quittions les lieux, nous avons croisé Alan Côté, grand manitou du festival et des escales qui comme toujours avait le sourire aux lèvres alors qu’il coupait du melon d’eau pour les chansonneurs. Une chance qu’on a des gens comme lui qui veille à donner les outils aux artistes émergents pour briller à leur juste valeur.
On se revoit aux Francos et à Petite-Vallée pour constater l’évolution!
*Cet article a été créé grâce à une contribution financière du Festival en chanson de Petite-Vallée.
Crédit photo: Alexanne Brisson