Navet Confit
Bonjour
- Lazy At Work
- 2022
- 38 minutes
L’éternel « artiste de la relève » Jean-Philippe Fréchette, alias Navet Confit, était de retour avec un album intitulé simplement Bonjour. Lancé à la mi-mai, ce 9e long format en carrière avait été, au préalable, présenté au public grâce à la sortie de Bonjour (le court-métrage); une œuvre située à mi-chemin entre le film d’art, la performance sur le Web et la session live en studio.
L’auteur-compositeur, arrangeur et réalisateur est aussi le co-propriétaire de la compagnie théâtrale le Théâtre du futur. Ceux qui ont déjà assisté à une pièce de ce collectif sauront reconnaître la subtile ironie et l’univers absurde que Navet Confit entretient depuis le début de sa carrière. Sur sa page Bandcamp, Fréchette décrit sa démarche artistique en des termes lucides qui impose le respect : «… il va continuer à déranger poliment, sans convention ni compromis ».
Enregistré de mars 2020 à septembre 2021, Bonjour est une relecture contemplative d’un indie-rock-grunge à la Pavement présentant quelques ascendants de shoegaze et de jangle-pop. Tous ces genres musicaux sont imperceptiblement saupoudrés de bidouillages électroniques.
Mais ce qui distingue également ce nouvel album, c’est l’approche littéraire concise, mais percutante, de Fréchette. La pause forcée imposée par la pandémie a fait réfléchir l’artiste sur l’égo trop souvent démesuré de l’être humain, sur sa propension à avoir une opinion sur tout et sur rien… même si la connaissance est parfois loin d’être au rendez-vous.
Dans prétentieux d’être en vie, Navet Confit assène un doux camouflet à la masculinité toxique. Cette virilité de pacotille qui empêche certains hommes plus sensibles d’exprimer leur vulnérabilité, les forçant ainsi à adopter à leur tour des comportements néfastes afin de « faire partie de la gang ». Un cycle sans fin qui se perpétue depuis trop longtemps.
C’est vrai que c’est prétentieux d’être en vie
De se lever tous les matins
C’est vrai que c’est prétentieux d’être en vie
De se défendre avec ses poings
– prétentieux d’être en vie
Et ces douloureux constats sur la nature humaine se poursuivent dans il n’y a jamais eu personne :
Il n’y a personne
Il n’y a jamais eu personne
Il n’y a jamais eu que nous
Plus personne ne change rien
Regarde comme le monde est beau
Sans toi
– il n’y a jamais eu personne
Les qualités d’arrangeur et de réalisateur de Navet Confit ne sont plus à prouver depuis des lustres. Encore une fois, ce long format sonne comme une tonne de briques évoquant à la fois les réalisations lo-fi des années 90, mais aussi celles plus intimistes d’artistes comme Phil Elverum (Mount Eerie) ou Jason Lytle (Grandaddy).
Dans une entrevue accordée au journal Le Soleil, Fréchette exprimait son désir de faire preuve d’une certaine sobriété dans l’élaboration de ses chansons : « On dirait que j’essaie de faire de la musique neutre. J’essaie de pas trop chanter, j’essaie de pas trop écrire, j’essaie de pas trop jouer, je souhaite que la musique parle d’elle-même ».
Or, la neutralité affichée par Navet Confit sur ce Bonjour n’est jamais redondante ou insipide. Au contraire, il s’agit de porter une attention plus particulière à l’instrumental jeudi pour bien comprendre que les arrangements économes du musicien, et magnifiquement mixés par ailleurs, confèrent à ses chansons une ampleur insoupçonnée.
Parmi les autres moments dignes de mention de ce Bonjour, on a fortement apprécié les guitares dissonantes dans quelques fois, les araignées et l’hilarante bonjour dieu. L’introduction avortée dans ta voiture fait sourire. s’il vous plaît a des affinités sonores avec les chansons ensoleillées de Belle and Sebastian et prétentieux d’être en vie résonne comme si Thom Yorke et Jonny Greenwood avaient servi d’accompagnateurs à Fréchette.
Encore aujourd’hui (imaginez!!!), Navet Confit est LE secret rock le mieux gardé de la scène musicale québécoise. Condamné à une certaine marginalité, et pour toutes sortes de raisons inexpliquées et inexplicables, Jean-Philippe Fréchette mérite assurément une meilleure reconnaissance pour son éloquent travail. Un jour. Peut-être.