Tadoussac 2021: Natasha Kanapé Fontaine, Mara Tremblay et Élage Diouf
Enfin, les pluies insistantes ont fait place au soleil. En fait, j’ai plus l’impression que ce sont ces trois artistes qui l’ont emmené avec eux. Retour sur les concerts du 28 juin au Festival en chanson de Tadoussac.
La magnifique et bouleversante Natasha Kanapé Fontaine
Dans la dernière année, je me suis immiscée tranquillement dans la littérature autochtone avec des autrices et poétesses comme Joséphine Bacon et Natasha Kanapé Fontaine. J’étais heureuse d’enfin avoir la chance d’assister au spectacle de cette dernière, où elle déclame ses poèmes et ses slams vibrants sous forme de spoken word. L’artiste multidisciplinaire innue traîne maintenant ce spectacle avec elle depuis bientôt trois ans, qu’elle peaufine de prestation en prestation. Ensemble, Manuel Gasse (Antoine Gratton) et Natasha Kanapé Fontaine «aiment faire du beau». Accompagné en musique et en chœur par celui-ci, le duo nous a offert une performance chargée en émotions. Je n’ai pu retenir les larmes de couler sur mes joues à plusieurs reprises.
Kanapé Fontaine est capable de transmettre sa vulnérabilité, sa sagesse, sa douleur, son chagrin, son émerveillement, alors qu’elle récite avec émoi des textes sur les enfants, les femmes innues, le caribou en voie de disparition, le territoire, son peuple, son sentiment d’appartenance en dualité avec celui d’être étrangère chez elle, etc. «J’ai l’histoire des siècles derniers dans les entrailles.» Elle termine son concert en nous livrant un poème touchant qu’elle a composé pour Joyce Echaquan, la femme atikamekw décédée à 37 ans de maltraitance à cause du racisme dans un hôpital de Joliette.
Un spectacle vibrant, authentique et exécuté sans prétention.
Entre rock et douceur, «tout comme ma vie».
Bottes de cowboy, chandail brillant et cheveux ébouriffés. Mara Tremblay ne vieillit pas, mais a mûri avec le temps. Je n’avais pas d’attentes face au concert de l’autrice-compositrice-interprète active depuis pas moins de 34 ans. J’étais simplement curieuse d’entendre ce que cette artiste d’expérience avait à dire et à chanter aujourd’hui. Pour tout dire, j’ai été surprise par les émotions qui sont montées en moi en recevant cette prestation. Mara sortait en 2020 Uniquement pour toi, son huitième disque solo en carrière. À l’écoute de sa discographie antérieure, je suis restée mi-figue, mi-raisin, mais cette dernière offrande est forte de chansons country-rock aux textes très personnels, portant toutes une histoire qu’elle nous a racontée avec spontanéité.
Mara Tremblay a le don de parler à son public, de connecter avec lui en abordant sans tabous des sujets comme la dépression — la nôtre ou celle d’un proche — la santé mentale, les relations toxiques, les chagrins d’amour et les situations loufoques qu’elle vit, comme se faire dire par Gilles Vigneault que nos chansons sont belles. Ça n’arrive pas à tout le monde!
Bref, accompagnée par un groupe de jeunes et talentueux-euses musicien.nes, dont son fils Victor Tremblay-Desrosiers (dope.gng, Valery Vaughn) à la batterie et de la shreddeuse en chef Marie-Claudel (Thierry Larose), la guitariste et violoniste Mara Tremblay a commencé en lion avec trois morceaux tirés de Papillons (2001). Elle a ensuite enchaîné avec la plupart des pièces d’Uniquement pour toi, ainsi que quelques succès du passé «qui jouent chez Winners et IGA»… «Je ne pensais pas que j’étais rendue là! Mais entre un céleri et un rutabaga, moi ça me permet de mettre du beurre sur mon pain! » J’ai l’impression d’avoir découvert beaucoup trop tard dans ma vie une artiste sensible dont le talent ne vieillit pas avec le temps. Ah, et comment manie-t-elle la guitare avec tellement d’assurance!?
L’éblouissant Élage Diouf
Si Mdou Moctar faisait de la world-pop au lieu du rock, ça ressemblerait à ce qu’Élage Diouf présente en concert. Sur disque, les chansons de Diouf sonnent beaucoup plus acoustiques et pop fusion, tandis qu’en spectacle, l’électrification des guitares et des claviers, combiné aux sonorités soul, traditionnelles et world dansantes de l’artiste sénégalais rendent le tout encore plus impressionnant. Ça groove en s’il vous plaît! On a affaire ici à un maître percussionniste et chanteur hors pair qui réussit à contaminer autant le public que les membres de son groupe avec son énergie contagieuse. Le plaisir de jouer ensemble était palpable.
Accompagné sur scène d’un batteur, d’une claviériste et chanteuse, d’un bassiste et d’un guitariste (un peu lunatique, mais très talentueux), on assiste à de beaux échanges entre chacun d’entre eux. Suite à des envolées de solos ou des passes rythmiques compliquées, Élage Diouf a offert une couple de fist bumps bien mérités à ses musicien.nes, chose qu’on aimerait bien faire nous aussi si on pouvait se trouver plus près d’eux.
Élage Diouf, qui a été révélé au public québécois grâce à sa participation à l’album Dehors novembre du groupe Les Colocs en 1998, nous a présenté plusieurs nouvelles compositions tirées de son troisième album. Paru ce printemps et intitulé Wutiko, il y aborde la richesse du parcours de l’être humain. En concert, on a aussi eu droit à une reprise en wolof de I Am a Man of Constant Sorrow de Bob Dylan magnifiquement réarrangée. En effet, il avait déjà interprété cette pièce sur son album de 2010, Askil, mais la version que Diouf nous a balancée en pleine gueule hier soir était incroyable et remplie de nuances.
Prochaine destination : La Noce de Chicoutimi!
Crédit photo: Jay Kearney