Sigur Rós
Odin’s Raven Magic
- Krunk
- 2020
- 66 minutes
Ça fait sept ans qu’on attend du nouveau matériel de Sigur Rós, en fait depuis la sortie de Kveikur en 2013. Annoncé en octobre, ce Odin’s Raven Magic n’est pas un nouveau disque à proprement parler, puisqu’il s’agit en fait d’une œuvre orchestrale créée en 2002 mais qui était restée dans les tiroirs. Le résultat, somptueux, en valait l’attente, malgré quelques répétitions et lenteurs sur le plan narratif.
Mettons d’abord les choses au clair : Odin’s Raven Magic n’a que peu à voir avec le reste de la discographie du groupe islandais, ou même avec le post-rock en général. Il s’agit d’une œuvre qui s’inspire d’abord du mouvement néo-classique de la deuxième moitié du 20e siècle, avec en tête des noms comme Arvo Pärt ou Henryk Gorecki. Ceux et celles qui ont aimé la relecture de la Troisième Symphonie de Gorecki par le saxophoniste Colin Stetson seront d’ailleurs ici en territoire connu.
Odin’s Raven Magic est une œuvre massive de près de 70 minutes qui s’inspire d’un vieux poème tiré du folklore islandais. Dans sa forme, la pièce ressemble un peu à un oratorio qui combine de grands passages orchestraux, des sections plus minimalistes et un chœur. Les membres de Sigur Rós travaillaient sur l’album () en 2002 lorsque le musicien Hilman Örn Hilmarsson les a approchés pour les inviter à collaborer au projet, qui incluait également le chanteur (et pêcheur!) Steindór Andersen ainsi que Maria Huld Markan Sigfúsdóttir, aussi membre du groupe Amiina.
Résumé grossièrement, Odin’s Raven Magic est un récit apocalyptique campé dans un monde en déroute. Désireux de connaître l’avenir, le dieu Odin dépêche deux corbeaux pour aller questionner un oracle. Mais l’oracle, qui a vu dans l’avenir, est trop sous le choc pour répondre, si bien que les corbeaux retournent bredouilles vers les dieux et les trouvent en train de se gaver dans un grand banquet. Il y a plusieurs interprétations possibles du texte, mais une d’elles veut qu’il s’agisse d’une allégorie sur le thème de l’insouciance des puissants face à l’état du monde.
Musicalement, l’œuvre est d’une fine richesse orchestrale. Le prologue nous plonge dans un univers postromantique, avec une opulence sur le plan de l’instrumentation que n’aurait pas renié Richard Strauss. Au final, on entend peu la voix de Jónsi, qui apparaît essentiellement sur trois morceaux (très belle Stendur æva). C’est plutôt la voix chevrotante d’Andersen qui porte la majorité du récit, avec un grain de voix qui exprime une tristesse collant parfaitement au ton sombre du texte.
Les percussions occupent une place centrale dans l’œuvre, en particulier un marimba de pierre créé par un sculpteur islandais et dont la sonorité particulière sert de liant à travers les divers mouvements. La pièce Dvergmál s’avère une des plus intéressantes du lot, avec sa rythmique hypnotique et ses arrangements choraux.
Il y a une certaine redondance au chapitre des mélodies. Les thèmes sont simples, et on devine qu’ils ont été inspirés par des chants traditionnels, dans la tradition des compositeurs comme Béla Bartók ou Ralph Vaughan Williams. Le problème n’est pas leur simplicité, mais plutôt leur aspect répétitif dans le contexte de l’œuvre dans son ensemble. Cela dit, le mariage des voix de Jónsi et d’Andersen dans Dagrenning, lorsque les différentes mélodies se combinent les unes aux autres, est d’une grande beauté, avec un puissant crescendo rappelant la finale de l’album ().
Odin’s Raven Magic n’a été joué qu’à quelques reprises, dont une fois en France en 2004 à La Grande Halle de la Villette, avec l’Orchestre des lauréats du Conservatoire national de Paris. C’est d’ailleurs cette performance qui a été enregistrée et qui a servi de base à cet album, qui permet donc de lever le voile sur un épisode méconnu de la carrière de Sigur Rós… en espérant la sortie d’un prochain disque.