Sébastien Tellier
Domesticated
- Record Makers
- 2020
- 32 minutes
L’extravagant gentilhomme de la pop française est de retour après 6 ans d’absence, avec un album raffiné et franchement électro.Univers guimauve décalé, pilosité hirsute, lunettes XXL de clubbeur fatigué à la réunion créa du matin (14h en langage de publicitaire) et élégance décontractée. Sébastien Tellier est un peu le Frédéric Beigbeder/Jacques Chirac/John Lennon (époque peace & love) de la chanson française.
Si on passe en revue sa discographie, on se dit que parfois sa musique n’a d’électro que le nom. En effet, les premiers albums (s’ils comportent des sonorités synthétiques) sont très pop anglaise dans la forme, et il y figure souvent des instruments purement acoustiques.
Alors oui, depuis le début de sa carrière, l’homme s’acoquine avec le gotha de la French Touch. Il a notamment assuré la première partie de Air sur leur tournée de 2001, et hormis quelques compilations, ses disques sortent tous sur le label du groupe oxygéné. Donc forcément, en se fréquentant, les artistes s’influencent. C’est ainsi que les albums Sexuality, My God Is Blue et l’Aventura, sont très tournés vers l’instrumentation virtuelle et ressemblent plus à du Kavinsky qu’à du Gainsbourg. Enfin c’est une supposition.
Voilà pour le petit rappel de rigueur !
Selon les dires du chanteur, Domesticated (ce nouvel album) serait inspiré par la vie domestique dans laquelle il a été poussé de plus en plus profondément depuis qu’il est papa (deux bambinos tout de même). En l’écoutant pour se faire une idée, on constate que cet opus, tout en conservant l’univers un brin excentrique et iconoclaste de Tellier, n’a pas peur de s’adjoindre les codes musicaux actuellement en vogue.
Pour le premier aspect, on retrouve les synthés kitsch des 80’s que l’on n’a pas connues. Si bien que l’on se dit que Sébastien Tellier a bingé Miami Vice et Le Flic de Beverly Hills pendant le confinement. Écoutez par exemple A Ballet (avec ses chœurs séraphiques et son saxo lubrique), Stuck In A Summer Love (avec ses motifs aigus mélodieux et répétitifs) ou Won. Puis enfilez votre costume de Don Johnson.
On a aussi cette voix charmante et tremblante des chanteurs qui n’en sont pas. Pensez Thurston Moore, Stephen Malkmus ou Lou Reed, avec un accent français en prime.
Concernant la seconde dimension. Le compositeur a choisi à plusieurs reprises des grosses basses trap lugubres. Comme sur Domestic Tasks (très agressive) et Oui (plus mélodieuse et angoissante). Puis il s’est payé les services de Nk.F, ingénieur de son et mixeur du duo ô combien populaire PNL, à qui on a attribué le sobriquet de « sorcier du son ». C’est qu’il doit se débrouiller un petit peu.
L’artiste a aussi fait le choix du vocodeur qu’il utilise un peu partout dans cet album. Le problème de ce genre d’outil est que, s’il apporte une couleur pas inintéressante dans les registres plutôt bas et médiums, a tendance à faire saigner du nez quand il est utilisé dans les envolées stratosphériques. On se rapproche plus à ce moment de l’instrument de torture médiéval que de l’artifice musical.
Alors les kids biberonnés au mumble rap ne le remarqueront probablement pas, mais pour les autres ça frotte un peu. Question de goût donc.
Sébastien Tellier a une façon d’écrire très propre au courant électro. Peu de parole, des thèmes simples (amour, amour et parfois aussi un peu l’amour) et une accroche martelée tout au long de la chanson. Venezia (un seul couplet répété), Domestic Task (la phrase thème). Très efficace.
Ce genre de textes se prête très bien à la musique du compositeur, cela permet de mettre en valeur ses talents de multi-instrumentiste vorace et laisse donc beaucoup de places à des arrangements extrêmement variés.
Enfin, on remarquera un morceau en particulier, Atomic Smile, qui se détache du reste, suave, et tout en retenue avec son ambiance lunaire.
Sébastien Tellier a compris que pour se faire connaître il faut se faire remarquer, alors il entretient ce personnage de dandy excentrique qui divague. Il y a quelques semaines il déclarait par exemple à France inter : « J’ai un liquide vaisselle rose, il est légèrement nacré, il est magnifique ! Et moi je trouve que les liquides vaisselle ils sont parfois plus beaux que les plus belles peintures des grands maîtres ! »
Ce à quoi on serait tenté de répondre avec un fort accent américain : « Sacré Hubert, you’re so French !» Voilà c’est ça ! Sébastien Tellier c’est un peu un Hubert Bonnisseur de la Bath socialement acceptable.