Chroniques

Slayer

Reign In Blood

SlayerEn 1986, j’étais un jeune imberbe avide de punk hardcore. Mes mentors de l’époque, Dead Kennedys, Suicidal Tendencies, et dans une moindre mesure des groupes tels que The Exploited ou encore G.B.H (ouf!), m’ont initié à la chose politique et ont édifié, par le fait même, la conscience sociale qui m’habite encore aujourd’hui. Je connaissais des groupes plus «lourds» comme Metallica, mais un de mes bons amis, devenu aujourd’hui une sommité dans le domaine de la physique, m’avait initié aux trois premiers albums de Slayer: Show No Mercy, Haunting The Chapel (un EP en fait) et Hell Awaits. Ces trois disques étaient catalogués par mes amis pouilleux dans la catégorie «speed metal». Ce que j’aimais chez Slayer, c’était la vitesse et l’agressivité sans compromis du groupe, même si l’imagerie satanique du groupe me laissait parfaitement de marbre.

Le 7 octobre 1986, Slayer, fort de sa signature avec Def Jam Recordings (un label spécialisé dans le rap à l’époque), lançait Reign In Blood. Quelques semaines plus tard, je débarquais, accompagné d’un de mes potes, chez un disquaire indépendant de ma ville natale et j’achetais le vinyle de l’album. Au retour à la maison, nous étions subjugués par la pochette, surtout par la photo arrière mettant en vedette les quatre salopards formant Slayer. Tom Araya (voix, basse) tire les cheveux de Dave Lombardo (batterie) et Jeff Henneman (guitare), pendant que le même Henneman tient solidement quatre cannettes de Stella Artois avec un Kerry King (guitare) plein de hargne. Personnellement, je faisais réellement une fixation sur cette pochette et encore aujourd’hui, je souris de bonheur à la vue de ces quatre jeunes métalleux qui ont carrément révolutionné un genre musical.

Bien assis confortablement dans le salon de mes parents, absents bien sûr, j’ai posé l’aiguille sur le vinyle de Reign In Blood. Angel Of Death commence, Araya hurle sa vie et… LE moment musical le plus salvateur de ma vie de mélomane agresse mes oreilles. Et je ne m’en suis jamais remis. J’étais bouche bée devant autant d’agressivité entendue dans une seule et même chanson. Le maigrelet un peu frêle que j’étais venait de prendre conscience de la force évocatrice de la musique. Je pouvais ENFIN exprimer sainement ma colère refoulée envers une famille contrôlante et contre une école bourrée de «preppies» qui carburaient aux albums insipides de Bryan Adams et Glass Tiger. Une totale libération!

Ce mélange inédit de punk hardcore et de speed metal gonflait ma confiance (artificiellement sans doute) et me permettait enfin de m’identifier à quelque chose qui, à mes yeux et mes oreilles, me semblait parfaitement authentique et vrai. Même si je ne comprenais strictement rien des textes provocateurs d’Henneman et King, j’étais soufflé par la musique. Plus tard, quand j’ai découvert le contenu des chansons de cet album, j’ai un peu déchanté, pour finalement constater que Slayer, en toute cohérence avec sa musique, ne visait que la provocation à grande échelle.

Sur Reign In Blood, les thèmes de la nécrophilie, du génocide juif, du satanisme servaient simplement à narguer cruellement ce monde économique et social qui souscrivait aveuglément aux doctrines droitistes de ces deux vils personnages politiques qu’étaient Ronald Reagan et Margaret Thatcher. À défaut de revendiquer clairement, comme les formations punks états-uniennes qui pullulaient, Slayer offensait les bien-pensants en tournant le projecteur sur tous les tabous et les sujets interdits. S’inspirant directement des représentations nazies qui différenciaient le «merchandising» d’un groupe comme Motörhead de tous les autres groupes métal, Slayer poussait le bouchon encore plus loin.

Reign In Blood démarre avec Angel Of Death qui explicite de manière détaillée et crue les expérimentations perpétrées sur des humains par Josef Mengele, cette ignominie sur deux pattes, qui pendant la Deuxième Guerre mondiale, dans le camp de concentration d’Auschwitz, a conduit ces expériences. Cette pièce donne le ton à un disque qui n’offre aucun répit à l’auditeur. S’enchaînent tour à tour sur la face A du vinyle les Piece By Piece, Necrophobic, Altar Of Sacrifice et Jesus Saves. Le rythme des chansons est très élevé, avoisinant 200 bpm, du jamais vu à l’époque (merci Dave Lombardo). On y entend entre autres un Araya déclamer son texte à une vitesse inouïe dans Necrophobic.

Sur la face B, on y retrouve Criminally Insane, Reborn, Epidemic, le classique Postmortem ainsi que l’hymne suprême de Slayer, la jouissive Raining Blood, mettant en vedette l’un des riffs parmi les plus mémorables de l’histoire du métal. N’importe quel fanatique de Slayer vous dira qu’après le motif d’introduction de ce monument, l’entrée tonitruante du groupe (particulièrement le jeu quasi militaire de Dave Lombardo) est d’une puissance inégalée. Impossible de ne pas «headbanger» sa vie sur ce chef d’œuvre.

30 ans après sa sortie, Reign In Blood n’a pas perdu une seule once de pertinence. J’écoute ce disque (que je connais comme le fond de ma poche) de 5 à 6 fois par année et chaque fois, je vire carrément fou sur ce feu roulant d’une durée de 28 minutes. Le 13 septembre dernier, j’ai assisté au concert de la tournée Repentless (encore une fois un bon disque de la part des vétérans) et toutes les pièces tirées de Reign In Blood rendaient le public dément. Et je n’ai aucune gêne à vous dire que parmi les «4 grands du thrash métal», c’est Slayer, et de très très loin, qui remporte la palme du meilleur groupe.

Bon 30e anniversaire Reign In Blood et je t’écouterai encore au crépuscule de ma vie, ne serait-ce que pour me sentir vivant!

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