Critiques

Yamantaka // Sonic Titan

Dirt

  • Paper Bag Records
  • 2018
  • 43 minutes
8
Le meilleur de lca

Il est comment le Yamantaka//Sonic Titan nouveau ? Vraiment beaucoup de choses à la fois et probablement pas ce à quoi vous vous attendiez. Notons d’abord les nouveaux venus dans la composition du groupe torontois : la chanteuse Joanna Delos Reyes, le guitariste Hiroki Tanaka et le bassiste Brandon Lim (qu’on a pu entendre dans l’excellente formation HSY).

Un seul coup d’œil à sa pochette permet d’avoir une bonne idée de ce qu’on nous propose. Une épopée, une aventure, une fresque imaginaire futuristico-dystopique, une quête semée de moments grandioses et d’embûches. Il y aura des méchants, de la vitesse, des tentacules, des tragédies, des pleurs, des tensions, de l’action et des résolutions appuyées par des chœurs extatiques. On aura aussi parfois l’impression de jouer à un jeu de course de char ou de snowboard en étant bloqué à un niveau où c’est clairement impossible d’espérer finir la cassette.

J’ai bien dit la « cassette », car l’album utilise résolument des sonorités des années 1980 et 1990, voire 1970, pour évoquer un futur possible dans un monde et un temps autres. Prenons comme exemple la chanson Yandere qui propose un gros rock lourd dévalant une pente de gravelle avec des tapes de Deep Purple dans le coffre à gants. Ça roule à fond la caisse avec des claviers qui ajoutent une profondeur hallucinante à la course… avant que surgisse inopinément un refrain pop très court, aussi mélodique que du Paramore pré-2010. Comme une petite débarque dans de la ouate avant de reprendre l’autoroute infernale de la vie hypermoderne post-apocalyptique.

Ces ruptures de ton ponctuent l’album dans lequel on retrouve par ailleurs des sons de jeux vidéo/électroniques, intégrés ici et là dans la trame des chansons, et beaucoup de couches d’instruments et de bruit s’empilant par-dessus des voix aériennes démultipliées comme dans la pièce The Decay, qui est sans doute ma préférée de l’album. Quoique, la finale bruitiste de Hungry Ghost ponctuée de sax hurlant au loin, de voix fantomatiques et de percussions martelées est particulièrement saisissante.

Cette impression d’écouter une trame sonore de film ou de jeu n’est pas fortuite, le groupe a composé la trame sonore du jeu Severed en 2016 et ça s’entend dans ce nouvel opus. Il faut savoir qu’il s’agit d’un album concept qu’on nous propose ici : selon le communiqué officiel de la maison de disques, il s’agit ni plus ni moins de la trame sonore d’un dessin animé de 1987 n’ayant jamais vu le jour et qui s’inspire à la fois de thèmes Haudenosaunee (iroquois) et bouddhistes pour présenter l’état du monde sur la planète « Pureland » 10 000 ans après un déluge. On nage donc en pleine fiction aux idées de grandeur, tant dans les thèmes abordés que dans l’exécution magistrale, à la limite de l’ampoulé, qui ne laisse aucun répit à l’auditeur. On nous convie à un trip de près de 45 minutes au cœur de pièces qui savent être lourdes à souhait sans se priver d’envolées de violons, de refrains très accrocheurs, de synthés délirants (coup de cœur absolu pour les claviers de Brendan Swanson qui sont une grande force de l’album) et de solos de guitare comme peu de groupes s’en permettent de nos jours. Après tout, on est en 1987… entre autres. La pièce de clôture Out of Time à elle seule remet en question la ligne du temps musical et catapultant des solos solides n’ayant rien à envier aux glorieuses années du métal et du prog. C’est d’ailleurs, à mon sens, le volet prog échevelé de l’album qui donne l’impression de voyager dans un temps à la fois passé et futur. Certains bouts où le chant et l’instrumentation deviennent épiques à souhait, comme dans Dark Waters, ne sont pas sans rappeler Waiters on the Dance, le classique de prog sci-fi épique de Julian Jay Savarin (la pièce Stranger en particulier) paru en 1971. On est dans l’évocation cinématographique, parfois à outrance, mais l’ensemble se tient, à condition de ne pas avoir le souffle trop court.

Yamantaka//Sonic Titan s’est donné pour mission de créer des ponts entre les nouveaux et anciens mondes, des cultures ancestrales et inventées, sur une autre planète et ici même, puisque la découverte de l’Autre semble toujours aussi difficile en ces temps où le durcissement identitaire semble avoir un certain ascendant sur les humains en quête de racines utopiques. Par sa diversité et son éclectisme assumé, le groupe fait voler en éclat toute tentative de catégorisation ou de confinement dans quelque petite case que ce soit, en y ajoutant une dose non contenue d’énergie titanesque.

*À voir le 27 mars à l’Esco, avec deux premières parties de feu : Petra Glynt et Teke Teke.