SOPHIE
OIL OF EVERY PEARL’S UN-INSIDES
- Future Classics / Transgressive Records
- 2018
- 40 minutes
Quand SOPHIE a fait surface en 2014, on aurait pardonné n’importe qui de présumer qu’il ne s’agirait que d’un feu de paille. Sa sonorité était si du moment, l’emballage était si clinquant, il y avait de quoi s’attendre à ce que son travail se démode vite.
Mais on aurait eu tort. Quatre ans plus tard, SOPHIE continue de brouiller les cartes en collaborant là où on ne l’attend pas et en ajustant et réajustant son identité. On associait son travail aux voix féminines gonflées à l’hélium et aux chanteuses-poupées comme Charli XCX et des artistes de l’équipe PC Music, mais SOPHIE a confondu les attentes en réalisant deux pièces marquantes de l’album Big Fish Theory de Vince Staples. Et parce que l’identité n’est jamais une chose simple avec SOPHIE, la réalisation musicale de ces deux pièces était créditée à SOPHIE, mais une partie des textes était créditée à Samuel Long, son nom de naissance masculin, et ce malgré le fait que son nom légal serait maintenant Sophie Xeon.
L’identité personnelle est un thème constant dans l’œuvre de SOPHIE, plus précisément la fluctuation et l’éradication de l’identité comme façon de trouver sa réelle identité. Les textes de plusieurs chansons parlent admirativement de virtualité, de modification du corps et de mondes imaginaires, en y apposant une source de fierté et d’affirmation personnelle. C’est la célébration du toc comme avenue menant à l’acceptation de soi. La philosophie est déstabilisante, mais on ne peut pas nier la joie et la beauté que SOPHIE arrive à tirer du synthétique.
Cette beauté synthétique est aussi un de ses attributs musicaux. SOPHIE a affirmé par le passé qu’elle travaille sans échantillons, strictement en créant des ondes par synthé et en les modifiant dans Ableton, et qu’elle cherche avant tout des textures avec lesquelles créer des sculptures sonores. Une fois vue comme ça, l’œuvre devient très claire et il faut s’incliner devant la maîtrise dont elle fait preuve. Les sons créés rappellent des matériaux tantôt élastiques et souples, tantôt rigides et résonnants comme des cloches. Et les “ sculptures ” de ce nouvel album couvrent un large éventail, de l’immédiatement plaisant au curieusement repoussant.
Cet album, qui est le premier véritable album de SOPHIE après une compilation, des simples et des collaborations, est savamment bâti et rythmé pour faire preuve d’unité et de cohérence. Il y a des clins d’œil à la dance-pop la plus accrocheuse des années 80 et 90, mais ces clins d’œil baignent dans des sons qui auraient été impensables il y a à peine 10 ans, et qui classent SOPHIE au niveau de virtuoses contemporains comme Arca, MESH et Daniel Lopatin. Et l’image qu’a choisie l’artiste cette fois élève le tout à un niveau qui laisse bouche bée. Les voix féminines sur l’album sont majoritairement confiées à Cecile Believe (alias la Montréalaise Mozart’s Sister, un match parfait), mais SOPHIE se met cette voix en bouche, en se plantant à l’avant-scène accompagnée de danseuses pour jouer une étrange comédie lip-sync à la fois brouillon et totalement glamour.
Bref, SOPHIE nous a fait attendre avant d’offrir un album en bonne et due forme, mais la patience est récompensée. Si elle ne devient pas une nouvelle icône du nightlife et de la culture LGBTQ, ce ne sera pas faute d’avoir absolument tout ce qu’il faut pour le devenir.