Chroniques

The Zombies

Les 50 ans d’Odessey and Oracle

  • Columbia Records
  • 1968

Il y a de ces albums dont la création est jalonnée de tant d’anecdotes qu’on pourrait en tirer un film (oui, oui, un film, carrément, pas seulement un documentaire dans le style de Musimax). Le classique des Zombies, Odessey and Oracle, qui souffle ses 50 bougies, fait partie de ce club, au même titre que d’autres chefs-d’œuvre de la même époque, de Pet Sounds à Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band

Car rien ne laissait présager qu’un tel album allait un jour s’ancrer dans la mémoire collective de l’histoire du rock n’ roll. En fait, le groupe (le claviériste Rod Argent, le chanteur Colin Blunstone, le bassiste Chris White, le guitariste Paul Atkinson et le batteur Hugh Grundy) qui enregistra Odessey and Oracle dans les studios d’Abbey Road à Londres en 1967 (tout juste après Sgt. Pepper) avait déjà décidé de tirer la plogue, désabusé par l’aspect commercial du milieu de la musique.

The Zombies semblait pourtant promis à un bel avenir après la sortie d’un premier 45 tours, la chanson She’s Not There, en 1964, qui avaient même reçu les fleurs de George Harrison, des Beatles. Mais les échecs répétés des simples suivants allaient vite avoir raison de ce groupe atypique, porté sur les arrangements élaborés et les harmonies jazz, un genre de précurseur du prog-rock avant l’heure.

Mais voilà que la bande décide d’enregistrer un dernier disque avant de se séparer pour de bon. Libérés de toute contrainte commerciale, ils réalisent l’album dont ils rêvaient, repiquant même le mellotron laissé à Abbey Road par les Beatles après les sessions de Strawberry Fields Forever. Le groupe se fout tellement des conventions qu’il ne se donne même pas la peine de corriger une erreur du graphiste qui a fait une faute en écrivant « Odessey » sur la pochette. Peu importe, l’album fait entendre une pop baroque sublime, qui aurait dû placer The Zombies dans la même catégorie que les Beatles, les Beach Boys ou les Kinks, champions de l’invasion britannique. Et pourtant, sa sortie passe inaperçue et ses ventes s’avèrent minimes.

Il faudra l’intervention du producteur Al Kooper pour que l’album commence à être réhabilité. Alors employé de CBS, il entend Odessey and Oracle au cours d’un séjour en Angleterre (« j’avais acheté 40 albums à Londres, et celui-ci est ressorti du lot comme une rose dans un jardin de mauvaises herbes », racontera-t-il plus tard). Il persuade finalement la maison de disques de sortir la chanson Time of the Season à l’été 1969. Le 45 tours se vendra à deux millions d’exemplaires…

Mais le groupe n’a pas profité de la vague pour se reformer, et le culte d’Odessey and Oracle s’est plutôt construit à petits pas, avec de nouvelles générations de mélomanes qui se l’appropriaient chaque année. Plusieurs artistes ont aussi clamé son influence, dont Eric Burdon (The Animals), Paul Weller (The Jam), et plus récemment Joseph Mount (Metronomy) ou bien Stuart Murdoch (Belle & Sebastian).

Personnellement, je pense qu’Odessey and Oracle demeure un immortel pour deux raisons. D’abord, son inventivité musicale doublée d’un goût pour la complexité qui ne prend jamais le dessus sur le versant pop des mélodies, avec ces accords diminués qui témoignent d’une richesse compositionnelle sans jamais verser dans la virtuosité gratuite. Ensuite, ses textes originaux, et avouons-le, pas très rock n’ roll, comme cet hymne à une fille en prison (Care of Cell 44), le récit des horreurs de la Première Guerre mondiale (Butcher’s Tale), ou encore cette déclaration d’amour à un couple d’amis qui demeure d’une naïveté désarmante (Friends of Mine).

Bien sûr, The Zombies n’a pas résisté à l’attrait de la nostalgie et multiplie les tournées depuis 1997, en plus d’avoir fait paraître quatre nouveaux albums. On a pu les voir en 2013, puis en 2017 (au National et au Festival d’été de Québec), jouer les pièces d’Odessey and Oracle et d’autres plus récentes. Certains et certaines y voient de l’opportunisme, mais venant d’un groupe qui a été privé du succès qu’il méritait pleinement il y a 50 ans, qui osera leur jeter la première pierre ?

Dommage que certaines rééditions d’Odessey and Oracle ne reproduisent pas l’extrait de la pièce La Tempête (1611) de Shakespeare qui figurait au verso de la pochette, et qui constituait déjà une belle invitation à chérir cette musique :

N’aie pas peur

L’île est remplie de bruits, de sons

Et de doux airs qui donnent du plaisir sans jamais faire de mal

Quelquefois des milliers d’instruments

Tintent confusément autour de mes oreilles;

Quelquefois ce sont des voix

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