Chroniques

Beck

Odelay

OdelayLe 18 juin 1996, lorsque le deuxième album studio «officiel» de Beck Hansen est apparu dans les bacs, on venait à peine de se remettre du fulgurant succès Loser tiré du premier rejeton, Mellow Gold. Le nombre de fois où j’ai hurlé en chœur sur une piste de danse en compagnie de joyeux fêtards: «Soy un perdedor/I’m a loser baby, so why don’t you kill me?». Ça ne se compte même plus… Alors, en ce mois de juin, annonciateur de l’été, on célèbre le 20e anniversaire d’Odelay. Et on va se le dire franchement, c’est le petit chef-d’œuvre de Beck!

L’aventure Odelay a curieusement pris naissance au cours d’une session d’enregistrement durant laquelle Beck et deux obscurs réalisateurs travaillaient sur des versions franchement folk, destinées à un album à venir; une démarche très embryonnaire. En fin de compte, seule la version de Ramshackle, issue de cette session (magnifique pièce brinquebalante qui conclut l’album), a été retenue. Mais c’est la rencontre de Beck avec les Dust Brothers (John King et Mike Simpson) qui est venue donner l’élan créatif nécessaire à la gestation de ce grand disque.

Avec le duo King/Simpson aux manettes, combiné au boulimique de musique qu’était Beck à l’époque, le résultat est ahurissant. Sous la férule des Dust Brothers, Odelay est devenu un album phare, proposant un fourre-tout stylistique étonnamment cohérent. Du folk, du garage rock, du country, de l’électro, du rap «vieille école», du noise rock, tous ces genres musicaux se côtoient, et ce, souvent au sein d’une seule et même chanson. Et l’exploit réside dans cette impression de facilité/intelligibilité qui nous envahit tout au long de l’écoute. Rien ne semble compliqué sur Odelay, tout coule de source.

Et la panoplie d’échantillonnages utilisés dépasse l’entendement! Des extraits de pièces des MC5 (une belle bande de salopards), Edgar Winter, Sly & The Family Stone, Rory Gallagher, Grand Funk Railroad et même le compositeur romantique autrichien Franz Schubert ont tous été échantillonnés par Beck. Même Jon Spencer joue du porte-clés sur une chanson!

À l’époque, Beck était perçu par une majorité de mélomanes comme une sorte de Bob Dylan virée sur le top et qui affectionnait particulièrement l’expérimentation artistique. Sauf que le créateur, sur Odelay, a eu le génie (disons-le franchement!) de lier ces éléments disparates pour en faire un tout aussi éclectique que pertinent.

Les textes sont du pur délire poétique/humoristique. Beck nous parle de démons, d’orgies, de païens et de marginaux qui rédigent leurs dernières volontés sur des dollars. Même si aujourd’hui l’artiste nous semble un peu délavé et sérieusement ésotérique (scientologie quand tu nous tiens), n’en demeure pas moins qu’Odelay est la jubilation musicale d’un «slacker» au sommet de son art.

Odelay sonne comme si vous syntonisiez une multitude de stations de radio de manière ininterrompue. C’est une série de collages conceptuels, parfois incongrus qui, confondue ensemble, donne un résultat totalement fluide. Des exemples? Devil’s Haircut qui combine un riff matraque et de nombreuses bizarreries sonores. The New Pollution qui débute avec une introduction très easy listening avant de bifurquer vers une rythmique calquée sur Taxman des Beatles. Where It’s At est un heureux mélange de hip-hop et de funk et Jack-Ass est une ballade country directement inspirée de It’s All Over Me, Baby Blue du bonhomme Zimmerman (Bob Dylan pour les intimes).

Beck faisait alors la preuve qu’il n’était pas l’homme d’un seul succès. Le gars tripait hip-hop et folk, pratiquait le moonwalk en concert, poussait l’expérimentation rock un cran plus haut et réussissait à maîtriser autant les techniques d’enregistrement dites lo-fi que les technologies de pointe qui prévalaient à l’époque.

Aujourd’hui, il est curieusement au sommet de sa forme en format folk frémissant plutôt qu’en mode hétéroclite… les extraits entendus en vue d’un prochain album à paraître n’annoncent rien de bien intéressant. Cela dit, on peut pourfendre l’œuvre récente de Beck, mais de Mellow Gold jusqu’à Guero, ça tient très solidement la route. Et c’est Odelay qui a confirmé l’aura d’artiste culte que Beck détient encore de nos jours. Après 20 ans, Odelay commence à peine à vieillir. Peut-être que dans 10 ou 15 ans, on sera moins enflammé par cet album, mais pour l’instant, je considère encore ce disque comme son meilleur en carrière.

Beck
Odelay
DGC
54 minutes

http://www.beck.com/

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=aa3rBVb3v4g[/youtube]

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