Critiques

Yaya Bey

Ten Fold

  • Big Dada
  • 2024
  • 39 minutes
8
Le meilleur de lca

Avec la chaleur qui commence à coller les épidermes, on ne pourrait être mieux servi qu’avec le retour d’un nouveau disque éclectique et intimiste de la musicienne de Brooklyn Yaya Bey. Après son excellent, voire éclatant Remember Your North Star, voilà qu’il n’y a pas à dérougir avec le rafraîchissant et accessible Ten Fold.

Il faut croire que ces dernières années, la vie de l’artiste se trouve à l’épicentre de deux plaques tectoniques. Dit autrement, Yaya Bey court un véritable marathon. Une séparation, un divorce, un déménagement de Washington D.C à son Brooklyn natal, une sérieuse précarité financière et le fait de travailler à temps plein en plus de prendre plusieurs heures par jour pour sa musique, puis, après la sortie de Remember Your North Star, être en mesure de vivre de son art, ce qui veut dire partir en tournée sans arrêt tout en composant. Au travers de tout ce mouvement et ce succès s’ajoute la mort de son père Ayub Bey, alias Grand Daddy I.U.

Bien que tous ces sujets ne soient pas forcément abordés de front, ils modèlent les émotions de Yaya Bey, et c’est sur ces émotions plus que des thématiques précises qu’elle s’est penchée pour orchestrer ce long jeu. Tous ces éléments parfois formulés comme des conversations, des affirmations de soi en mode auto-encouragement ou des morceaux de journaux intimes parcourent la vulnérabilité et la force de cette femme qui, dans la lumière de ce projet et de la création, sent une véritable libération. On la ressent avec elle alors que d’un bout à l’autre de son ensemble de 16 pièces, les fenêtres sont ouvertes et l’air passe avec aise.

Ten Fold se veut un album hommage à son père, lequel on entend ici et là sur east coast mami, so fantastic et yvette’s cooking show. Le titre vient directement de la bible et de l’aventure de Job; de cette idée, Yaya Bey mentionne : « L’histoire raconte comment Job perd tout, mais ensuite Dieu lui rend le tout au décuple. Mon père était musicien et il vivait à une époque où l’industrie musicale était tout simplement pourrie et corrompue, ce qui a finalement mis fin à sa carrière. Et maintenant, j’arrive derrière lui, alors j’aime m’imaginer le décupler ».

Même si ce périple aura à certains moments causé des lueurs d’extrême fatigue et de dépression chez Yaya Bey, Ten Fold se veut davantage un album aux productions rayonnantes, dansantes, voire remplies d’espoir. Le tout est livré en équilibre telle une force tranquille ; avec légèreté, sincérité, attitude, cru et sagesse. Plus précisément, au niveau de la musicalité, l’ensemble se veut fluide, avec des compositions lo-fi décomplexées qui valsent surtout dans le néo-soul, le jazz, le R&B, le hip-hop et les samples ainsi que la musique de clubs. Cette chaîne de montagnes se veut une réussite de Yaya Bey, mais également des têtes avec lesquelles elle a collaboré, c’est-à-dire le batteur Karriem Riggins, les musiciens Jay Daniel et Exaktly, la DJ et productrice Boston Chery ainsi que Corey Fonville du groupe Butcher Brown.

Avant même d’aller plus en détails, on pourrait avancer que Ten Fold se veut une oscillation d’atmosphères, laquelle rappelle celle que vit l’artiste. Ainsi, on commence avec la douce crying through my teeth avant de plonger dans the evidence et chrysanthemums, lesquelles rappellent la musique électronique bouncy de Détroit et de ses environs. L’exercice se répète de bout en bout, ce qui fait en sorte qu’à la première écoute, on se laisse charmer par cette roulette russe qui se compose en majorité de chansons ne dépassant pas les 3 minutes. Puis, pour les multiples écoutes qui suivent, la surprise vient avec le fait qu’on parvient à tisser un grand trait cohésif entre toutes ces trames.

Au niveau de la livraison des textes, on y ressent également chez Yaya Bey un dénivelé d’énergies et ce, que ce soit ce qui est dit comme comment c’est dit. Ce mélange d’affirmations, de politique, de réalisations et d’histoires personnelles si peu romancées s’imbrique bien aux tons employés selon les rythmes des chansons. Ainsi, sa voix berçante sur iloveyoufrankiebeverly s’arrime bien à la délicate production RnB. Puis sa voix se veut plus creuse et soul sur carl thomas sliding down the wall sur une production jazz lo-fi. On peut aussi évoquer le pouvoir de l’attitude qui ressort de sa voix sur sir princess bas bitch, eric adams in the club.

Somme toute, l’hymne Ten Fold a toutes les raisons d’éveiller la curiosité comme l’appréciation. Bien qu’elle se considère comme un hamster dans une roue sans fin, Yaya Bey croit faire un autre album avant de potentiellement prendre une pause. À voir. En attendant, il faut noter qu’elle sera de passage au Festival de jazz de Montréal cet été, soit le 27 juin 19h30 lors d’un concert extérieur gratuit.

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