Critiques

Wilco

Cruel Country

  • dBpm Records
  • 2022
  • 77 minutes
7,5

Voilà un groupe qui n’a plus besoin de présentation et qui a, depuis belle lurette, conquît sa place au firmament des plus grands groupes de l’histoire de la musique américaine. Même si Wilco a toujours pris soin de brouiller les pistes avec de sublimes aventures aux allures expérimentales (Yankee Hotel Foxtrot, A Ghost Is Born) ou par l’entremise d’un indie-rock pur et dur (Star Wars), la bande menée par Jeff Tweedy a toujours conservé intactes ses influences issues de la musique traditionnelle américaine.

Et ce n’est pas étranger au fait que la genèse de Wilco ait démarré avec l’une des formations-phares du mouvement « alt-country », Uncle Tupelo; un groupe dans lequel Tweedy a joué à l’époque le rôle de bassiste et compositeur. De plus, les Chicagoains ont toujours trempé leur musique dans le terroir américain que ce soit avec l’album Being There (1996) ou encore avec la série Mermaid Avenue (1998, 2000 et 2012) réalisée avec l’auteur-compositeur britannique Billy Bragg. Aucun doute, Wilco est bel et bien une formation dont les ascendants country rock sont pleinement assumés.

Jeff Tweedy, John Stiratt, Glenn Kotche, Mikael Jorgensen, Pat Sansone et Nels Cline nous proposent Cruel Country, un album enregistré en direct dans le studio maison de la formation.

Dans le communiqué de presse remis par dBpm, la compagnie de disques propriété de Wilco, Jeff Tweedy nous explique la direction artistique empruntée pour ce nouvel album : « Il y a toujours eu des éléments de musique country dans ce que nous avons fait. Par contre, nous n’avons jamais été particulièrement confortables avec cette façon de nous caractériser, avec cette idée que je faisais de la musique country. Mais maintenant, étant là depuis un bon bout de temps, nous trouvons excitant de nous libérer à l’intérieur de ce cadre et d’embrasser le fait que nous faisons de la country. ».

Cruel Country est une profonde réflexion sur l’état des lieux en Amérique. Dans la pièce-titre, de manière franche et quasi naïve, Tweedy exprime cet amour-haine qu’il porte à sa patrie :

I love my country

Like a little boy

Red, white and blue

I love my country

Stupid and cruel

Red, white and blue

– Cruel Country

Tout en appuyant ses récits sur les mythes collectifs qui ont toujours magnifié l’empire américain, Tweedy plonge en lui-même pour les remettre en question avec une indéniable sincérité. Les émouvantes Many Worlds et The Universe sont des témoins éloquents de cette introspection. Dans ces deux pièces, il clarifie l’affection qu’il porte à sa nation même s’il se considère dorénavant comme un citoyen du monde.

Musicalement, nous avons droit à une version résolument folk country du sextuor qui met en avant-plan les influences coutumières de la formation, The Byrds et Gram Parsons en tête de liste. Ceux qui aiment Wilco en mode rock — qui préfèrent quand le guitariste-virtuose Nels Cline tire de son instrument des sonorités abrasives et dissonantes — pourraient se lasser rapidement de ces chansons d’apparence linéaire. Or, au fil des écoutes, celles-ci se transforment en pourvoyeuses de frissons.

D’une durée de plus de 75 minutes, ce voyage dans la ruralité américaine est somme toute réussi. Dans Ambulance, on a l’impression d’être au bord d’un feu en compagnie de Jeff Tweedy s’accompagnant seul à la guitare. L’amalgame piano et guitares inharmonieuses sur The Empty Condor est du Wilco pur jus. Bird Without a Tail / Base of My Skull se transforme à la mi-parcours en une sorte de country-jazz aux accents progressifs. Many Worlds a des relents de Reservations, pièce conclusive du célébré Yankee Hotel Foxtrot (2001) et Story to Tell aurait pu être tiré tout droit d’un album de la série Mermaid Avenue.

La tranquillité des derniers albums solos de Jeff Tweedy laissait présager cet apaisement sonore chez Wilco. Certains le déploreront. En ce qui nous concerne, Cruel Country confirme une énième fois que Jeff Tweedy est l’un plus grands songwriters américains de sa génération… même si le souhait d’une utilisation plus audacieuse de ses compétents accompagnateurs n’a pas été exaucé.

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