Water From Your Eyes
Everyone’s Crushed
- Matador Records
- 2023
- 31 minutes
Il y a d’innombrables façons d’apprécier la musique, probablement autant qu’il y a d’auditeurs. Qu’est-ce qui fait qu’un album cacophonique pour certains semble vital pour d’autres? Ou qu’une jolie mélodie bien construite enchante une personne et écorche les oreilles de son voisin? C’est le genre de question à laquelle je reviens souvent. Dans mon cas, la musique qui tente d’exprimer une impression générale que quelque chose cloche dans l’air du temps est celle qui m’accroche le plus.
Je ne dois pas être seul dans cette situation vu que l’album Everyone’s Crushed de Water From Your Eyes s’est retrouvé dans la liste de fin d’année du Canal Auditif. On est donc au moins quelques collaborateurs à avoir trouvé que l’album était spécial, voire important. Nous ne l’avions cependant pas couvert après son lancement par les disques Matador à la fin mai 2023, d’où la présente critique de rattrapage.
Plusieurs choses laissent perplexe à propos de ce duo. D’une part, le parcours personnel des deux membres, la chanteuse Rachel Brown et le musicien Amos Nate, dévoile de nombreux écueils qui auraient achevé bien des groupes (un déménagement, un fonctionnement à distance, et une relation amoureuse qui s’est soldée par une rupture, entre autres). D’autre part, il y a la progression depuis leur premier album (Long Days, No Dreams en 2017) qui les a fait passer de l’indie rock enjoué à une forme particulière et déroutante de noise-pop synthétique.
On sent que le duo persiste parce que quelque chose de spécial se passe quand ils sont ensemble, mais est un peu sidéré par ce qu’il arrive à assembler. Dans plus d’une entrevue, Nate a décrit la musique de son propre groupe comme quelque chose imaginé par des fous, comme quelque chose qui ne devrait pas fonctionner. Si c’était déjà vrai de l’album Structure paru en 2021, c’est encore plus vrai avec Everyone’s Crushed. La pièce-titre, en particulier, superpose des rythmes distincts, mais un repère ici et là nous confirme qu’Amos et Brown savent exactement ce qui se passe et où ils se trouvent.
Les structures sont souvent bancales, les mélodies sont par moments minimalistes ou carrément atonales, mais le résultat finit toujours par être réjouissant, enjoué, voire touchant. J’y entends le travail de deux personnes extrêmement sensibles qui arrivent à laisser libre cours à leurs idées. Dans la logique interne de la formation, sa musique fonctionne et c’est le monde qui nous entoure lui-même qui ne tourne pas rond. Peu d’albums en 2023 ont mieux exprimé le sentiment de joie et de connexion avec autrui dans une réalité objectivement absurde.