Critiques

Tunnel

Out for a While

  • Indépendant
  • 2020
  • 41 minutes
6,5

Ça prend un certain culot en 2020 pour se présenter comme un groupe qui joue du rock progressif. Non pas que le genre soit définitivement mort, mais mettons que ce n’est vraiment pas ce qu’il y a de plus cool actuellement. N’empêche, c’est le chemin emprunté par le duo montréalais Tunnel sur son premier album Out for a While, qui propose une relecture du genre, sans ses aspects les plus rébarbatifs.

Tunnel est né d’une collaboration entre le batteur Kevin Warren (Yannick Rieu, The Franklin Electric, The Brooks) et le guitariste François Jalbert, deux fois gagnant du Grand Prix de guitare de Montréal. Après un premier concert improvisé à la dernière minute à l’été 2013, le duo a lancé un premier EP, intitulé Don’t Go Straight, un an plus tard. Tous les deux actifs dans de nombreux projets, ils ont pris leur temps pour écrire et enregistrer les pièces qui allaient composer leur premier album officiel, lancé finalement il y a quelques jours, en pleine pandémie de COVID-19.

Comme c’est trop souvent le cas en matière de catégorisation des genres, l’expression « rock progressif » ne rend pas tellement justice à la musique de Tunnel, qui puise à une multitude de sources d’inspiration, dont le jazz, le funk, le post-rock et le rock expérimental. Certes, à défaut de mieux, le prog reste approprié pour définir ce mélange des genres, mais il y a très peu ici pour rappeler les envolées symphoniques de Yes (quoique la pochette fait penser à du Roger Dean), les excès de synthétiseurs grandiloquents à la Emerson, Lake & Palmer ou les influences médiévales de Gentle Giant. À la limite, on pense au Genesis-époque The Lamb Lies Down on Broadway, mais ce n’est pas une musique pour les puristes du genre, loin de là.

La chanson la plus prog s’avère sans doute Walking the Vine, qui évoque le néo-progressif à la Porcupine Tree (ou le travail de Steven Wilson en solo). Avec sa métrique irrégulière, la chanson est portée par un groove efficace, sur laquelle plane une voix un peu fantomatique, saturée d’écho. Le côté prog s’exprime aussi dans des expérimentations sonores et rythmiques (certaines réussies, d’autres un peu moins) qui font autant penser aux élucubrations de FET.NAT (Super Charged Powerball) qu’au jazz fusion de la formation norvégienne Jaga Jazzist (River).

L’album est ponctué d’interventions de chanteuses invitées qui donnent un peu plus de relief à certaines pièces. C’est le cas de Falling First, portée par la voix envoûtante d’Erika Angell (Thus Owls), avec un riff atypique en 9/4 et un son à la Radiohead. Mais la plus excitante du lot demeure la pièce-titre, avec Lisa Iwanycki au micro. Le jeu de Warren est particulièrement impressionnant ici (en parfaite symbiose avec le riff plus mordant de Jalbert), avec un puissant crescendo en finale.

Il est clair que Tunnel est porté par deux musiciens extrêmement talentueux, capables de construire des riffs à la fois complexes et entraînants, mais qui, parce qu’ils sont joués avec brio, ne sacrifient jamais le groove au profit d’une approche plus intello. Mais entre une ballade acoustique comme Pizza hawaïenne et l’électro-funk Qualité Camping (avec France Basilic, de Valaire, et Lex French), il est difficile de savoir à quelle enseigne loge le groupe, tellement ses références sont diverses.

Out for a While s’avère quand même un album intéressant, qui n’hésite pas à sortir des clichés rock, quitte à s’éparpiller en chemin. Mais outre quelques moments, c’est un disque qui peut laisser froid, soit parce que les voix masculines manquent parfois d’émotion (Save You, entre autres) ou parce que certaines pièces tournent un peu à vide (la lancinante 420). Éclectique à souhait, mais un brin inégal.

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