Tim Hecker
Love Streams
- 4AD / Paper Bag Records
- 2016
- 43 minutes
La démocratisation de la critique musicale a ses avantages et ses inconvénients, et une des plaintes qu’on entend le plus souvent, c’est que les critiques de nos jours jouent parfois un rôle de fan ou de cheerleader plutôt qu’un rôle d’analyste posé et objectif. Je suis en profond désaccord avec ces plaintes, l’objectivité étant surestimée en général et carrément inatteignable lorsqu’on s’adonne à l’appréciation de l’art. Mais bon, je comprends que c’est ce que certains lecteurs et mélomanes ressentent, alors j’aborde le présent album avec énormément de prudence, car je tiens Tim Hecker dans la plus haute estime. Je vais essayer de ne pas m’emporter.
Tim Hecker est devenu un des grands noms de la musique ambiante noise et expérimentale en développant une esthétique très personnelle, texturée, et évocatrice, axée sur les assemblages de basses fréquences, de statique, et de timbres de plus en plus variés. Après avoir intégré au cours des dernières années le piano, l’orgue et les instruments à vent de toutes sortes à sa masse de bruits électroniques, Hecker fait le saut à l’instrument à vent le plus utilisé de tous: la voix humaine.
Les chants pastoraux d’une chorale islandaise sont une des matières premières que Hecker exploite et transforme pour Love Streams, et le mot “exploiter” n’est pas exagéré. Ces voix ne sont pas là pour nous offrir de jolies harmonies, mais bien pour être écrabouillées et étirées par Hecker, comme il l’avait fait subir aux clarinettes et hautbois sur l’album Virgins il y a trois ans. L’attention aux voix s’étend jusque dans la manipulation de divers sons synthétiques pour qu’ils deviennent presque humains, ce qui a pour résultat de brouiller la frontière entre l’artificiel et le naturel, un objectif constant dans le travail de Hecker depuis son album Ravedeath 1972. La voix humaine était l’aboutissement logique de cette approche. C’est le timbre naturel par excellence, celui qui est le plus difficile à combiner aux masses bruyantes qui ont fait sa spécialité.
Le revers de la médaille, c’est que pour arriver à trouver un équilibre où la voix n’est pas réduite à un rôle secondaire qu’on remarque à peine, il fallait que Hecker réduise un peu l’intensité de ses compositions. Bon nombre des onze pièces ici semblent un peu minces prises seules. L’exception la plus notable est Castrati Stacks, qui vient le plus proche de résumer la totalité de la mission de Love Streams. Une écoute partielle ne donnera donc pas une bonne idée de l’ensemble, l’album requière qu’on l’écoute en entier et d’un trait. Hecker est un musicien exigeant, mais il n’aurait pas une telle réputation s’il ne l’était pas.
Ma note: 8/10
Tim Hecker
Love Streams
4AD/Paper Bag
43 minutes
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