Critiques

Thom Yorke

ANIMA

  • XL Recordings
  • 2019
  • 48 minutes
8
Le meilleur de lca

L’œuvre solo de Thom Yorke m’est toujours apparue comme un complément un peu étrange mais néanmoins indissociable de la musique de Radiohead. Oui, le choix de l’instrumentation est radicalement différent, mais l’angoisse et l’oppression qui en émanent rappellent des enjeux chers au groupe britannique. Avec ANIMA, l’artiste de 50 ans offre ici son album le plus abouti, mais sans renier ses racines.

Tout comme les précédents The Eraser (2006) et Tomorrow’s Modern Boxes (2014), ANIMA a été conçu en étroite collaboration avec le réalisateur Nigel Godrich, qui ne reçoit probablement pas encore suffisamment de crédit pour toute l’importance de sa contribution à l’œuvre de Radiohead, et de Yorke en particulier. Et la symbiose entre les deux créateurs opère ici de manière particulièrement réussie, que ce soit dans les textures, le choix des sonorités et la précision des boucles de rythme.

Évidemment, ça ne surprendra personne de constater qu’ANIMA repose entièrement (ou presque) sur une instrumentation électronique. Il y a longtemps déjà que Yorke s’est affranchi des guitares dans son travail solo et on le verrait mal revenir en arrière à ce stade-ci de sa carrière. Inspirés par le travail de Flying Lotus, Yorke et Godrich ont conçu ces nouvelles chansons dans un esprit d’improvisation plus libre, en partant de longues séances en studio afin d’en extraire de petites structures.

Ce qui frappe à l’écoute des neuf titres d’ANIMA, c’est à quel point ils sont construits à partir d’idées relativement simples, en général un beat par chanson et une ou deux mélodies. Certains morceaux sont plus rythmés et renvoient à des genres comme le dubstep, le house, le drum’n’bass et le techno (Yorke n’a jamais caché qu’il était un amateur de dance music). C’est entre autres le cas de Traffic, dont le rythme saccadé peut rappeler l’atmosphère chaotique d’un club. L’envoûtante Twist est construite sur le même moule, avec une première partie plus hyperactive jusqu’à ce qu’un piano lui confère une tournure beaucoup plus dramatique en deuxième moitié.

À l’autre bout du spectre, on trouve des chansons plus contemplatives, où les boîtes à rythmes se taisent pour laisser toute la place à des claviers planants et atmosphériques. C’est sans doute ici que l’album atteint son sommet, en particulier sur la magnifique Dawn Chorus, où la voix de Yorke se fait des plus poignantes, sur un texte qui parle de regret en évoquant la nostalgie et le souvenir d’un amour lointain.

Il y a aussi des exceptions, où les synthés s’accompagnent d’une instrumentation plus traditionnelle. L’excellente Impossible Knots, qui arrive en fin de disque, est portée par une ligne de basse efficace qu’on croirait sortie du disque Amok d’Atoms for Peace (autre projet de Yorke et de Godrich). Il y a également de la guitare sur Runwayaway, inquiétante avec sa voix trafiquée et teintée d’un petit côté space rock (les claviers me rappellent Gong) qui peut étonner dans ce contexte.

ANIMA n’est pas l’album du renouveau pour Thom Yorke. Ceux et celles qui sont allergiques à son style n’y trouveront pas davantage leur compte. Mais les autres qui ont suivi avec intérêt le parcours de l’artiste y verront une belle maîtrise des éléments qui ont toujours caractérisé son travail : les motifs accrocheurs de The Eraser; le côté méditatif de Tomorrow’s Modern Boxes; et une certaine étrangeté digne de Suspiria (2018), tant dans la musique que dans les textes qui abordent la crainte d’un futur dominé par les technologies et la détérioration des rapports humains.

ANIMA s’accompagne d’un court-métrage du réalisateur Paul Thomas Anderson (et disponible sur Netflix) qui, sans être essentiel pour apprécier la musique, vient mettre en images l’univers sombre et dystopique dépeint par Yorke. Bref, voici une œuvre forte dont le pessimisme qui s’en dégage n’a d’égal que sa beauté…

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