The Voidz
Virtue
- Cult Records
- 2018
- 58 minutes
Dans le monde du rock, il y a des provocateurs prolétaires pour qui j’ai le plus grand des respects. Iggy Pop et Al Jourgensen (Ministry) en tête de liste. Et il y a certains rebelles qui me font plus rigoler qu’autre chose. Julian Casablancas, l’ex-Strokes, se classe dans cette catégorie. Comment prendre au sérieux ce « rockeur », né dans la ouate (son père est à la tête d’une agence de mannequins) et qui est endimanché dans des fringues griffées depuis qu’il a le biberon au bec ? Plus facile de faire son chemin dans la vie avec une cuillère dorée dans la bouche, n’est-ce pas ?
Malgré tout, autant avec les Strokes qu’avec son nouveau joujou, The Voidz, Casablancas, objectivement parlant, est un créateur valable qui carbure à une certaine prise de risque. Après le ratage prévisible de Comedown Machine – album ultime et complètement inutile des Strokes – le beau Julian a monté sa propre entreprise (Cult Records) et a formé un nouveau groupe. Cette transformation a connu son aboutissement avec la parution de l’album Tyranny; une agréable surprise de 2014. Un disque assez sombre et tortueux qui demande un effort d’écoute accentué tant ce qui est proposé est foisonnant.
La semaine dernière, The Voidz reprenait du service – sans l’appellation « Julian Casablancas » – avec un nouvel album intitulé Virtue. Cette fois-ci, le sextuor pop-rock expérimental y va d’une production plus accessible, tout en plongeant dans un éclectisme musical un peu étourdissant. Pop, rock, funk, guitares Nintendo, voix « auto-tunées », rythmes électros, mélodies décontractées, et parfois « fromagées », se côtoient souvent au sein d’une seule et même chanson. The Voidz ratisse large et présente une œuvre totalement hyperactive.
Curieusement, cette abondance grisante rassure sur le talent de ce groupe. Même si certains arrangements versent dans la surenchère (la désagréable surutilisation d’Auto-Tune dans QYURRYUS), la bande à Casablancas propose un disque qui pourrait peut-être passer l’épreuve du temps. Une sorte de réinvention d’un genre qui en a bien besoin : le pop-rock. Même si ce n’est pas toujours réussi, je salue bien bas la prise de risque. Honnêtement, ce disque ne manque pas d’audace.
Si Tyranny était résolument sinistre, Virtue est plus lumineux et met de l’avant l’indéniable talent de mélodiste qui habite Casablancas. Dans All Wordz Are Made Up, le chanteur emprunte le phrasé mélodique de Prince, sans verser dans un racolage indigeste. Dans Think Before You Drink, on retrouve également le désenchantement vocal qui a toujours constitué une importante partie de la signature sonore des Strokes. Une chose est sûre, libéré du carcan de son ancien groupe, Casablancas s’éclate. Pour le plus grand bien de nos oreilles. Musicalement, un gros coup de chapeau au technopunk Black Hole et au riff matraque qui caractérise We’re Where We Were !
Bref, The Voidz refuse d’être prisonnier d’une étiquette. Une bonne chose. J’aurais bien sûr souhaité une direction artistique plus précise, mais ce serait faire preuve d’une mauvaise foi crasse de ne pas saluer le je-m’en-foutisme, le bordel sonore qui singularise ce Virtue. Ceux qui ont persisté à suivre les étonnants détours de Casablancas vont assurément apprécier ce nouvel album. Pour ce qui est des autres, encore accrochés aux guitares robotiques des Strokes, le dernier Albert Hammond Jr. vous réconfortera.
Au final, Virtue est aussi insupportable qu’enivrant. Un disque polarisant.