Critiques

Daddy's home

St. Vincent

Daddy’s Home

  • Concord Records
  • 2021
  • 44 minutes
8
Le meilleur de lca

St. Vincent est une artiste aux multiples visages. D’abord associée à la pop baroque sur ses deux premiers albums, elle s’est ensuite imposé comme guitar heroine avant de prendre un virage presque synth-pop sur l’excellent MASSEDUCTION en 2017. La voici qui plonge maintenant tête première dans le funk et le soul des années 70 sur Daddy’s Home, qui nous la montre sous un tout autre éclairage.

Ce sixième album d’Annie Clark a été précédé d’une vaste campagne médiatique qui l’a menée sur le plateau de Saturday Night Live, entre autres, de même qu’à la une de plusieurs magazines, dont Rolling Stone et Entertainment Weekly. Ça vous donne une idée du chemin parcouru par cette artiste depuis ce soir de mai 2007 quand je l’ai vue en concert pour la première fois, en première partie d’Arcade Fire à l’Aréna Maurice-Richard, alors qu’elle m’était totalement inconnue, ou presque.

Évidemment, St. Vincent a depuis joué dans les plus grands festivals et remporté des Grammys. Le plus impressionnant, c’est qu’elle a acquis cette notoriété sans jamais s’aliéner ses fans, et surtout sans renier son intégrité artistique. Elle a aussi conservé cette aura de mystère qui l’entoure, peut-être parce qu’elle a pris l’habitude de s’immiscer dans la peau d’un nouveau personnage à chaque album, que ce soit en prêtresse du futur sur l’éponyme St. Vincent, en séductrice sur MASSEDUCTION, et maintenant en icône mode des années 70 avec ce nouvel album.

Le plus intrigant, c’est que malgré toute cette mise en scène, Daddy’s Home pourrait être son album le plus personnel. En effet, le disque s’inspire en partie de l’histoire de son père, qui a été condamné en 2010 à 12 ans de prison pour son rôle dans un méga-scandale financier et qui a été libéré il y a deux ans. L’affaire est connue, et les journaux en ont fait leurs choux gras par le passé, mais Annie Clark a choisi de se réapproprier l’histoire et de la raconter à sa manière : en musique d’abord mais aussi étonnamment avec humour et une certaine légèreté dans le ton. Sa manière d’aborder le sujet contraste d’ailleurs avec certains de ses propos récents, où elle a notamment qualifié le système pénal américain de « tragédie », en plus de critiquer la « culture du bannissement » (cancel culture), deux questions évacuées ici.

Musicalement, Daddy’s Home est un album caméléon dont le plaisir se bonifie avec les écoutes, au fur et à mesure qu’on en décode les subtilités. Car St. Vincent puise à toutes sortes de sources : le funk cosmico-langoureux sur la pièce-titre et Down and Out Downtown; le rock planant sur Live in the Dream et The Melting of the Sun; et même le folk à la Simon & Garfunkel sur Somebody Like Me. Bien sûr, le résultat est d’abord déstabilisant, tellement on est loin de morceaux comme Surgeon ou Birth in Reverse, mais force est d’admettre qu’il est impressionnant de voir une artiste se réinventer de la sorte pour se mettre au service de son concept.

Deux constats se dégagent au sujet de Daddy’s Home. D’abord, il s’agit de l’album le plus chaleureux de St. Vincent, celui sur lequel la technique et la quête de sonorités éclectiques prennent un pas de recul. Ça ne signifie pas qu’il n’y a aucune virtuosité, comme en fait foi le solo de guitare épique dans Live in the Dream, mais c’est la première fois que la guitare d’Annie Clark sonne exactement comme une guitare, non comme un engin du futur. En ce sens, la réalisation de Jack Antonoff (Lana Del Rey) est tout à fait en phase avec le propos et vient mettre en valeur les différentes textures de guitares ou de claviers rétro, dont le clavinet et le wurlitzer.

C’est aussi la première fois que St. Vincent laisse tomber les barrières qui entourent en général sa musique et qui la rendent un peu inclassable, comme si elle n’avait pas de précédent. Ici, toutes les références sont assumées, qu’il s’agisse de David Bowie, Stevie Wonder, et même Pink Floyd. Sur l’excellente My Baby Wants a Baby, elle se permet même un emprunt (pour mieux en détourner le sens) à Morning Train (Nine to Five), un tube rétrograde de 1981 dans lequel Sheena Easton se glissait dans la peau d’une femme au foyer attendant que son mari rentre du travail.

Maintenant, est-ce que Daddy’s Home est le chef-d’œuvre de St. Vincent, comme l’a clamé le Daily Mail? La réponse courte est non. Je trouve que sa façon d’emprunter aux styles musicaux du passé est parfois un peu trop littérale, comme si on perdait sa voix d’auteure au passage. Dans un esprit similaire, j’estime que U.S. Girls a signé l’an dernier une œuvre supérieure avec Heavy Light, un autre disque qui empruntait au soul et au funk des années 60 et 70, mais en les réactualisant.

Cela dit, Daddy’s Home demeure un fascinant voyage dans le temps. C’est aussi un disque complexe qui n’a sans doute pas fini de livrer tous ses secrets. Et même si on n’en avait pas besoin, c’est aussi une autre preuve du talent immense d’Annie Clark, mais cette fois en mode moins bouillonnant et plus accessible.

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