Sprain
The Lamb as Effigy (or Three Hundred and Fifty XOXOXOS For a Sprak Union with My Darling Divine)
- The Flenser
- 2023
- 97 minutes
Ces dernières années, plusieurs créations dites « noise rock » ont étonnamment obtenu l’approbation de quelques médias spécialisés, dont celui que vous lisez. Les récents albums de Swans, Daughters et Chat Pile, pour ne nommer que ceux-là, ont tous récolté des accolades senties. Et pourquoi l’adverbe « étonnamment » est-il employé ci-dessus ? Parce que l’auteur de ces lignes juge la plupart de ces parutions comme étant hermétiques.
Cette année, on a pu apprécier la démarche dansante, et en partie fédératrice, d’un groupe comme Model / Actriz qui, en début d’année, a fait paraître l’excellent Dogsbody. Or, ce noise rock « rassembleur » est une anomalie.
Ce qui nous amène plus précisément en septembre dernier. La formation californienne résidente de Los Angeles nommée Sprain lançait alors un nouvel opus intitulé The Lamb as Effigy… et on vous épargne l’interminable parenthèse qui complète le titre de cette création !
Formé autour du meneur incontesté, Alexander Kent (guitare, voix), le quatuor est complété par le bassiste April Gerloff, la guitariste Sylvie Simmons et le batteur-percussionniste Clint Dodson. Le groupe a, semble-t-il, trois longs formats dans sa besace dont le plus récent avait été lancé en 2020, Almost Through Collision.
En entrevue, Kent a déjà déclaré que sa musique était une manifestation sonore des sensations qui traversent son corps lorsqu’il expérimente douloureusement une crise d’anxiété. Avec The Lamb as Effigy, l’intention artistique de Kent se concrétise et le multi-instrumentiste — l’homme joue tout près d’une vingtaine d’instruments sur l’album — a eu la lucidité de bonifier ses assauts sonores avec de magnifiques moments orchestraux, et ce, avec très peu de moyens. Pendant plus de quatre-vingt-dix minutes, Sprain triture les sens de l’auditeur et pousse celui-ci dans ses derniers retranchements en matière de tolérance sonore.
En plus d’être un arrangeur doué et inventif, Kent utilise sa voix dans des registres variés comportant de multiples dynamiques : hurlements, susurrements, falsetto, cris, etc. En fait, le musicien nous offre une performance vocale cathartique et nuancée à la fois, tout en conservant intacte « l’inharmonie mélodique » qui caractérise la plupart des vocalistes de noise rock.
Sprain nous présente donc une création contrastée qui marie habilement, et de façon équilibrée, la beauté, la laideur, l’intelligibilité et l’hermétisme. L’introductive Man Proposes, God Disposes est emblématique de ce que propose le quatuor. Après un sublime départ orchestral, la formation déploie son arsenal déflagrant avec de remarquables montées en puissance.
De l’autre côté du spectre, le folk céleste, et quasi paisible, entendu dans Privilege of Being sert de pause à l’auditeur; une trêve préparatoire au déferlement abrasif de Reiterations. Les riffs lourds et les larsens qui dominent ce morceau de bravoure n’ont d’égal que le falsetto tremblotant de Kent qui déclame un texte rempli d’abstractions bizarres. Les deux pièces maîtresses de ce The Lamb as Effigy sont Margin For Error, située à la mi-parcours de l’album, et la conclusive God, or Whatever You Call It. Les deux avoisinent les vingt-cinq minutes…
À l’évidence, The Lamb as Effigy est un disque exigeant qui n’est vraiment pas conçu pour toutes les oreilles. Or, pour celles et ceux pour qui la curiosité culturelle est un mode de vie ou pour les mélomanes aventureux qui ne craignent absolument rien, ce long format saura les satisfaire au plus haut point. Au fil des écoutes, ces jouisseurs sonores découvriront des orchestrations qui leur avaient échappé au préalable et seront de nouveau conquis par la performance vocale exceptionnelle d’Alexander Kent.
Un disque chaotique et paradoxalement lumineux.
P.-S. Salutations au collaborateur de longue date, le défricheur Mathieu Robitaille, pour la recommandation de cet excellent album.
Crédit photo: Bandcamp