Ce n’était qu’une question de temps avant que la formation punk hardcore/rap Soul Glo dessuinte les oreilles d’un plus grand nombre de mélomanes. Mené par le tonitruant Pierce Jordan, le quatuor est complété par Ruben Polo (guitare), GG (basse et programmation) et du seul caucasien de la formation, TJ Stevenson (batteur). Pourquoi cette précision ? Parce que le groupe est formé principalement par trois Afro-Américains qui en ont long à raconter sur l’état socio-économique lamentable de leur communauté.

Avec deux albums autoproduits dans leur besace, les furieux Untitled EP (2018) et The Nigga in Me is Me (2019), Soul Glo s’est attelé à la tâche avec méthode et acharnement au cours des trois dernières années pour nous offrir ce frénétique Diaspoara Problems. Enregistré dans un entrepôt et toujours réalisé par le groupe lui-même, ce nouveau chapitre dans la carrière de Soul Glo obtient un appui promotionnel important : c’est la maison de disques Epitaph qui distribue l’album en Amérique du Nord.

Diaspora Problems redonne ses lettres de noblesse à un genre qui a trop souvent affadi sa principale raison d’être : en découdre avec l’establishment capitaliste, éternellement blanc et masculin, et qui empêche systématiquement ses minorités d’accéder à de meilleures conditions de vie. C’est ce que fait Soul Glo avec beaucoup de créativité de surcroît, et ce, sans dénaturer le genre.

En plus de prendre la parole pour toutes ces communautés qui ne demandent qu’à être entendues, Soul Glo fait preuve d’une compétence musicale exceptionnelle tout au long l’album. De l’hymne Gold Chain Punk (whogonnabeatmyass?) jusqu’à Jump! (Or Get Jumped!!!)((By The Future)), la formation nous propose quatre chansons magnifiquement colériques. Ensuite, Soul Glo change le mal de place sans crier gare en nous plongeant dans un hip-hop assez lourd titré Driponomics, dont un des couplets est livré avec hargne par une rappeuse de Philadelphie, Mother Maryrose.

Mais ce qui différencie Soul Glo de ses semblables, c’est sans contredit la performance littéraire et vocale de Pierce Jordan. Hargneux, faisant preuve d’inventivité — le « growl » ténébreux en conclusion de Fucked Up In Time est un exemple parmi tant d’autres — Jordan s’époumone et s’en prend sans ménagement à tous ces bien-pensants libéraux qui, du haut de leur perchoir politique, verbalisent une empathie forcée à l’endroit de toutes ces groupes marginalisés, sans jamais réellement changer les choses.

« Elites don’t fight fair, I got no time to care
40 years of reaganomics, nigga, this what we get
Nigga, it is what it is, the world in service and shit
Deliver food we spit in, can’t even cook for their kids
Yo, my nigga stay flipping gear in a pinch
Reselling, upselling, I’m telling you
Labor to get comfortable is only for the gullible
Shut your lip, cop a zip, or flip a shoe or two
StockX went retail off the riot loot
Ain’t nun’ as ugly as a balance in the red
I want bands on every politician’s head
Fuck them niggas ’cause they stingy with the bread
We want blood instead, and u can tell ’em what I said, nigga »

-Driponomics

Diaspora Problems ne contient aucun temps mort. Le riff principal de Coming Correct Is Cheaper tue… littéralement! Thumbsucker se conclut sous influences ska, mais fertilisées par une rancœur contagieuse. We Want Revenge est du punk hardcore pur jus. Coup de chapeau au « pacing » de ce long format qui se conclut avec un retour au hip-hop, s’agglutinant quand même au punk hardcore, et qui s’intitule Spiritual Level of Gang Shit.

En plus de s’en prendre à l’apathie libérale, au racisme institutionnel, au vide politique et à l’élitisme médiatique, Diaspora Problems rebrasse habilement les cartes d’un punk hardcore trop souvent la chasse gardée de musiciens blancs inconscients de leurs privilèges. Tout est là pour que ce disque-matraque devienne avec le temps un monument du punk hardcore moderne.

Pour les fans de Death Grips, Public Enemy, Bad Brains et Blood Brothers.