Critiques

Shabaka and the Ancestors

We Are Sent Here by History

  • Impulse !
  • 2020
  • 64 minutes
7,5

En 2015, le saxophoniste londonien Shabaka Hutchings a eu la brillante idée de remonter à l’une des nombreuses sources de son inspiration musicale : le jazz sud-africain. Le cerveau des formations à succès Sons of Kemet et The Comet is Coming a alors recruté une brochette de musiciens du pays de Nelson Mandela pour former Shabaka and the Ancestors.  

Paru en mars dernier, We Are Sent Here By History, est le deuxième projet de la bande. Sur le plan esthétique, il s’inscrit en continuité avec l’excellent Wisdom of Elders, qui avait fait tourner plusieurs têtes en 2016. On renoue avec un jazz spirituel afrocentriste vibrant, même si peut-être moins spontané que celui de l’album précédent.

Avec Wisdom of Elders, Hutchings cherchait à puiser dans les traditions musicales africaines l’ayant inspiré, et à rendre hommage à celles-ci. Au niveau conceptuel, We Are Sent Here By History emprunte une autre trajectoire. L’Afrique y est célébrée différemment, par une affirmation puissante de la grandeur du destin africain… face à une apocalypse imminente. Comme si, par leur souffrance historique, les peuples africains avaient déjà été préparés à accepter la fin du monde. C’est à la fois ésotérique et politisé, une union qui trouve tout son sérieux dans les récitations de l’artiste vocal Siyabonga Mthembu et dans l’interprétation sentie des musiciens.

Parmi les attributs marquants de We Are Sent Here By History, on compte les déclamations fougueuses dudit Siyabonga Mthembu, qui donne dans un spoken word véhément plus souvent que dans le chant. Pour mesurer l’apport de celles-ci, il suffit d’écouter l’entrée en matière, They Who Must Die. Des exclamations telles qu’«African Time» et «We Are Sent Here By History» fusent, alors que la batterie et la contrebasse deviennent de plus en plus insistantes et que le saxophone de Hutchings se fait nerveux et dissonant. Dès les premières minutes, la tension atteint un paroxysme.

La pièce qui suit, You’ve Been Called, annonce toutefois des modulations dans l’intensité au cours de l’heure suivante. Car les Ancestors réussissent à équilibrer les pièces intenses, où la voix est généralement mise à l’avant-plan, avec des plages plus intimistes et tout en beauté. C’est là une réussite notable des artistes. On pense à We Will Work (on Redefining Manhood), qui promeut l’expression de la sensibilité masculine, ainsi qu’à la sensuelle Teach Me How to Be Vulnerable.

Si les influences sud-africaines des Ancestors semblent ressortir ici et là, c’est avec une liberté très jazz qu’elles sont incorporées à leur musique. Le métissage auquel s’adonne le groupe est résolument contemporain, comme en témoignent la présence d’un clavier électrique, des passages de free jazz, ou encore la poésie libre de Mthembu.

Peut-être que le revers de cette versatilité est une surabondance d’idées musicales, et en conséquence, des longueurs qui affaiblissent la dynamique de l’album par moments. Mais quoi qu’on en dise, on peut difficilement reprocher à Shabaka and the Ancestors de manquer d’inspiration. La créativité est une qualité dominante des multiples projets de Shabaka Hutchings, qui prouve à nouveau que sa visibilité dans le monde du jazz est bien méritée.

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