Rosalía + Bad Bunny
Motomami
- Columbia Records
- 2022
- 42 minutes
Troisième album pour la chanteuse d’origine catalane Rosalía Vila Tobella après l’acclamé El Mal Querer en 2018. Bien des années ont passé depuis le succès de simple néo-flamenco comme Malamente. Le profil de Rosalía sur la scène pop contemporaine n’a fait que grandir. La jeune pop star a désormais plusieurs énormes titres à son actif avec les plus grands artistes du moment, hispanophone ou anglophone : Bad Bunny, Travis Scott, ou encore avec The Weeknd. Par ailleurs, La Fama, interprétée en compagnie du Torontois, est le premier extrait de ce nouvel opus.
Si la renommée de la jeune femme n’a fait que croître, Rosalía est toutefois parvenue avec quelques simples à maintenir l’intérêt et la curiosité du public autour de ce nouveau projet. L’anticipation autour de Motomami était-elle justifiée ? C’est ce que nous allons voir.
Tout est là dès l’ouverture Saoko, morceau explosif qui indique un changement de direction artistique pour ce troisième disque. Délaissant quelque peu le son néo-flamenco d’El Mal Querer, Rosalía s’oriente ici vers des sonorités plus reggaeton et surtout vers des productions où la diversité est le maître mot, parfois à l’excès.
Fantasque, excessif, expérimental, transpirant l’influence d’artiste comme Arca, Motomami commence très fort avec ce premier titre contenant une rageuse ligne de guitare, plusieurs manipulations vocales délirantes et une conclusion jazz très mélodieuse, le tout en un peu plus de 2 minutes à peine.
On retrouve ce caractère fragmenté sur d’autres titres pour des résultats mitigés. En effet, si les expériences de Rosalía sur la plupart des morceaux sont colorées, pleines d’extravagances, cet aspect fragmentaire dessert parfois sa musique. Par exemple, Diablo semble contenir trop d’éléments en trop peu de temps pour être un titre vraiment efficace. Les nombreuses variations de rythme, de tempo ne se marient pas forcément et la courte apparition de James Blake sur la fin est trop rapide pour être mémorable.
C’est l’inverse sur les excellents Candy , Bulerías, Hentai et Sakura , quatre morceaux dont l’intensité réside dans la qualité extraordinaire des prestations vocales de Rosalía. Sur des instrumentaux plus squelettiques, sa voix, avec un simple piano, parvient à traduire toutes les émotions qu’elle souhaite faire passer. Quelques trouvailles méritent d’être mentionnées comme le bruit de machine répétitif à la fin de Hentai , morceau au contenu sexuel explicite adossé à une très douce mélodie à la Disney.
Candy utilise une basse reggaeton et plusieurs couches d’instrumentation pour raconter une histoire très émouvante tandis que Sakura est un titre enregistré en live évoquant la fugacité de la période de floraison des cerisiers du Japon dont le final est d’une grande beauté. Ce thème nippon se retrouve ailleurs sur Chicken Teriyaki, morceau entêtant, mais finalement assez vide, la faute à une mauvaise exploitation des quelques idées du titre. Quant à La Fama , il s’agit d’un rythme bachata parfaitement maitrisé montant progressivement avec une excellente alchimie entre Rosalía et The Weeknd.
Le seul véritable défaut de Motomami est en fait son déséquilibre entre une première partie qui regroupe les meilleures idées et une deuxième en dents de scie qui ne les exploitent pas tout à fait. Si l’humour, la bonne humeur et l’absurde infusent les titres CUUUUuuuuuute , les interludes Motomami et Abcdefg, on retrouve un ton plus sérieux pour Como un G et La combi Versace, morceau boom bap où les effets apportés aux voix de Rosalía et la chanteuse dominicaine Tokisha n’offrent pas un contraste très intéressant. Les choses changent sur Delirio de grandeza, morceau d’une grande sensualité où la voix de Rosalía est seulement guidée par un piano ainsi qu’un vieil échantillon jazz de 1968 et un autre de Soulja Boy de 2009, preuve de sa versatilité et de son talent pour marier les styles, les influences, les sonorités.
S’il ne parvient pas à chaque fois à proposer des titres entêtants ou émotionnellement forts, Motomami est un disque brillant – pas encore révolutionnaire – qui ose beaucoup, tente énormément, souvent pour le meilleur. Parfait au niveau vocal et bénéficiant d’une écriture de qualité, il s’agit là d’un disque bien plus fougueux, mature et versatile que son prédécesseur.
On pourra apprécier la maîtrise complète que semble avoir acquise Rosalía sur son art. Après El Mal Querer, la jeune artiste s’affirme encore davantage sur la scène internationale. Pleinement consciente de ses capacités, sûre d’elle-même et de son potentiel désormais illimité, on attendra ses prochaines productions avec beaucoup d’impatience.