Requin Chagrin
Bye Bye Baby
- 39 minutes
Troisième aventure en haute mer pour Marion Brunetto et son mammifère marin musicalement triste. Bye Bye Baby persiste, signe et propulse Requin Chagrin sur l’équipe d’étoile de la dreampop française. Une réussite sur toute la ligne pour la rockeuse parisienne et protégée de Nicolas Sirkis (Indochine).
Réussite? Mais pourquoi?
En fait, Bye Bye Baby est bien plus qu’un simple adieu de 10 morceaux sur une trame plus ou moins shoegaze, étalée sur 38 minutes et des poussières. C’est un véritable voyage astral au pays du synthétiseur glacial, un rêve, voire un mirage, où la voix sensuelle de Brunetto résonne dans une immense cathédrale, nous enveloppant au passage comme les bras de Morphée.
Même si les cordes et les claviers sont propulsés par une tonalité plutôt aiguë, la puissance omniprésente de la batterie, combinée au vocal ténébreux, plonge le produit final dans les fonds marins, là où la noirceur règne sur tout le reste. Cette incohérence de styles et de textures est d’ailleurs ce qui rend l’offrande, somme toute, assez unique en son genre. À première vue (en première écoute), l’album précédent, Sémaphore (2019), semblait monocorde et même linéaire, alors que le je-ne-sais-quoi de shoegaze prenait une place de choix. Maintenant, sur Bye Bye Baby, la guitare est noyée, la plupart du temps, par de vieux synthés tout droit sortis des années 80, alors que la poésie actuelle et élémentaire de Marion Brunetto fait en sorte que le contenu est foncièrement intemporel.
Agile, sans élan
J’ai trompé le temps
Tracé dans la ville
Et la cible
Derrière l’écran
Je tiens la distance
En plein dans le mille
C’est fini
– Love
Bye Bye Baby s’avale d’une seule bouchée, alors que nos oreilles sont pleinement rassasiées d’une écoute intégrale, défilant telle une comète. Sans enchaînement, ce serait une longue piste digeste de 40 minutes, synonyme d’un sublime moment expéditif. Malgré tout, certaines pierres précieuses s’introduisent dans nos bottes pendant l’épopée, comme la deuxième en liste Déjà Vu. Je ne pensais jamais être aussi captivé par un clavier pastoral et des métaphores d’étoiles filantes. Même réaction pour la 5e pièce Juno, foutrement plus downtempo que ses consoeurs. Sa construction lentement rock me laisse un arrière-goût agréable de Niagara. Marion Brunetti a peu-être écouté ses vieux vinyles de Muriel Moreno, qui sait.
Tu sèches le passé souvent
L’été a guetté l’océan
À la vie, à la mort
Que les vagues nous emportent
– Première Vague
Ici, comme les textes ne sont que des accessoires à la richesse sonore, j’ai parfois l’impression que Marion Brunetto pourrait balancer n’importe quelles inepties à travers sa prose que la proposition serait tout de même potable. L’idée ne me déplaît même pas. Blague à part, la simplicité des textes, justement, à défaut d’être une faiblesse, témoigne d’une brillante concision. Bref, Bye Bye Baby est une boîte de Pandore qui renferme un petit bijou de la dreampop francophone. J’aurais envie de dire, à vous de le découvrir !