Walter Schreifels a passé la fin de son adolescence et le début de son âge adulte à jouer de la guitare dans Youth of Today et écrire toutes les chansons du groupe hardcore new-yorkais Gorilla Biscuits. Le guitariste a ensuite réalisé qu’il savait chanter et il a bifurqué vers un autre projet appelé Moondog qui s’est tranquillement métamorphosé en Quicksand. Au moment où ce nouveau projet sort son premier album, le monde est au cœur de l’explosion grunge et le post-hardcore du quatuor est immédiatement louangé par la critique, même s’il n’obtient qu’une menue fraction des succès monstrueux de ses contemporains de Soundgarden ou Pearl Jam. Les deux disques du groupe parus dans les années 1990, Slip et Manic Compression, exerceront une grande influence sur le post-hardcore et, bien sûr, sur les Deftones.

Fatigués de tenir le projet à bout de bras sans qu’il décolle, les gars quitteront tous le navire en avortant la création d’un 3^e album à la fin de la décennie. Walter formera ensuite Rival Schools, un projet indie-rock aux forts accents grunge aussi excellent que sous-estimé. Le guitariste Tom Capone grossira les rangs du groupe rock Instruction et le bassiste Sergio Vega sera recruté par Deftones suite au décès accidentel du bassiste Chi Cheng.

Le quatuor rejouera ensemble pour la première fois à titre d’invité surprise des célébrations du 25^e anniversaire de Revelation Records en juin 2012, pour ensuite partir en tournée de célébration de la réédition vinyle de Slip. Depuis, nous avons eu droit à un nouvel album en 2017 (le convaincant Interiors) et le groupe est passé de quatuor à trio suite à l’arrestation de Tom Capone pour vol à l’étalage dans une pharmacie alors que le groupe était en spectacle à Phoenix, en Arizona. Cette mésaventure laissait d’ailleurs craindre le pire pour l’avenir du band. Toutefois, les craintes des fans ont été anéanties lors de la parution du EP Triptych Continuum en 2018. Puis, en avril 2021, le premier simple de Distant Populations, nommé Inversion, est paru.

Et maintenant :

D’abord, disons simplement que ce premier album complet de Quicksand en format trio est une réussite à tous les égards. C’est un disque qui poursuit l’exploration des différentes palettes exploitées par le groupe à présent. On y retrouve de gros tubes rock comme Inversion et Lightning Field, ainsi que des ballades senties et planantes comme Brushed ou Phase 90, ainsi que des pièces mid-tempo réussies grâce au sens inouï du hook de Schreifels (Colossus et Katanaka en tête de liste). Bref, on nous propose ici rien de moins qu’une synthèse de pas mal tout ce qu’on aimait dans les nineties. On y entend des échos de Jane’s Addiction (Brushed), de Queens of the Stone Age (Missile Command) ou même du Filter de la bonne époque (Katanaka) sans toutefois que les pièces tombent dans le vulgaire pastiche. C’est efficace et concis, puisqu’aucune chanson ne franchit la barre des 3 minutes 45, et on ressort de l’écoute en ayant vécu aucun temps mort. Côté thématique, l’isolation causée par la technologie est le thème récurrent de l’album et les textes ne versent jamais dans les clichés ou le mélodrame emo.

Deux petits bémols en ce qui me concerne : j’en aurais pris davantage et la production aurait pu être légèrement moins pesante sans que les pièces perdent en efficacité. Mais bon, les dynamiques loud-quiet-loud font intégralement partie de l’ADN musical de ces gars-là et c’est pas mal la signature la plus facilement reconnaissable des productions de Will Yip (qui travaille notamment avec Nothing et Title Fight).

En résumé, Distant Populations fait déjà partie des meilleurs albums rock parus cette année. C’est un album qui séduit littéralement les fans de la première heure tout en ayant le potentiel d’attirer de plus jeunes oreilles vers l’œuvre du groupe et tous les autres projets de Schreifels, qui demeure l’un des auteurs-compositeurs les plus sous-estimés de sa génération.