Protomartyr
Under Color Of Official Right
- Hardly Art
- 2014
- 35 minutes
La ville de Detroit a connu des hauts si haut et des bas si bas qu’il est toujours tentant de lui donner un rôle majeur dans la mythologie des artistes qui s’y sont formés. On peut par exemple associer Motown à la prospérité et à l’essor technologique du début des années soixante, ou les Stooges et MC5 à la décadence qui arrivait avec les années soixante-dix. On peut aussi imaginer qu’un artiste comme Eminem n’existerait pas sans le vaste écart entre les riches et les pauvres dans la ville de l’automobile. Maintenant que Detroit a déclaré faillite et qu’elle est plus connue pour ses maisons désaffectées, son taux de chômage et ses jardins communautaires que pour son activité manufacturière, on peut facilement associer les déboires de la ville au spleen de Protomartyr.
Avec son premier album, No Passion All Technique, paru en 2012 puis réédité en 2013, Protomartyr s’était fait remarquer en offrant une synthèse d’à peu près tous les misérables bâtards des différentes ères du post-punk (Black Flag à l’époque In My Head, Mark E. Smith et The Fall, Clinic, Interpol, etc.). Le mot-clé ici est «misérable», mais avec juste assez d’humour grinçant pour qu’on souhaite entendre la suite plutôt que d’être entraîné dans une spirale descendante de misanthropie.
No Passion All Technique avait été enregistré avec les moyens du bord, et l’esthétique lo-fi allait au groupe comme un gant. La facture plus propre et nette de ce nouveau Under Color Of Official Right dépouille la formation d’une partie de son charmant côté crasseux et nihiliste. Si Protomartyr n’avait que du style et pas de bonnes compositions, le changement serait fatal. Heureusement, ce n’est pas le cas. Ces pièces, qui pourraient avoir l’air au premier abord un peu uniformes et oscillantes toujours entre les mêmes dynamiques, s’incrustent dans les oreilles avec une ténacité non négligeable. Après quelques écoutes, les riffs d’intro des chansons comme Ain’t So Simple, Tarpeian Rock et Scum, Rise! ont quelque chose de carrément réjouissant.
Une grande partie du charme de Protomartyr provient des textes et du ton du chanteur Joe Casey. Ses textes n’ont rien de très joyeux, mais expriment un malaise bien réel avec assez de relief pour qu’à peu près tout citadin contemporain s’y reconnaisse un peu. Et si la réalisation plus propre réduit un peu l’effet «no future», elle permet au moins au guitariste Greg Ahee de prendre sa place en imposant ses lignes squelettiques tout comme ses accords massue baignés de reverb. Sans réinventer la roue, Under Color Of Official Right démontre que Protomartyr n’est pas à court d’idées et n’a pas l’intention de stagner.
Ma note : 7/10
Protomartyr
Under Color Of Official Right
Hardly Art
35 minutes
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