Critiques

Polo & Pan

Cyclorama

  • EOS Records / Hamburger Records
  • 2021
  • 65 minutes
8
Le meilleur de lca

Le duo électro pop français Polo & Pan a été fondé en 2013 par Paul Armand-Delille (Polocorp) et Alexandre Grynszpan (Peter Pan), à l’époque du club légendaire Le Baron à Paris, où ils performaient comme résidents. Comme bien des DJs qui ont fait la transition vers la production et la composition, ils ont modelé leur son en enchaînant trois maxis sur lesquels on retrouve un moule électronique dansant coloré par des musiques folkloriques et ponctué par des thèmes tropicaux plus reposés. Ce mélange les a menés à Caravelle (2017), un premier album qui proposait un thème de voyage (à la Marco Polo) rassemblant quatre ans d’exploration sonore, et quelques pièces entendues à travers leurs maxis.

Polo & Pan est revenu en juin dernier avec Cyclorama, un deuxième album qui donne des frissons tellement il est agréable à écouter, comme un vent chaud d’été indien qui te fait un câlin pour faire oublier la fraîcheur de l’automne. Comme l’objet/lieu, l’album s’écoute naturellement en continu en suivant le thème du cycle de la vie humaine. En ce sens, l’effet de recueil d’histoires sur Caravelle est remplacé par l’effet d’une seule grande histoire sur Cyclorama, avec une direction artistique cohérente qui permet à chaque pièce de jouer séparément, mais gagne en résonance une fois toutes les scènes réunies.

Leur premier simple Ani Kuni a beaucoup joué cet été en France en reprenant la prière autochtone Ani Couni Chaouani en version techno, chantée depuis des siècles et enseignée à l’école primaire depuis au moins 1973. Bien que le chœur soit fidèle à la première appropriation, l’habillage musical est bien loin des versions de Madeleine Chartrand et Rika Zaraï, qui ont popularisé la mélodie sur les deux côtés de l’océan la même année, par hasard. Le thème célèbre notre souvenir d’enfance collectif en ouvrant à la Morricone, cowboy oblige, pour enchaîner avec le chœur et le motif dansant, qui sera décoré plus tard par un solo de flûte andine. La pièce est accompagnée par une magnifique vidéo en dessins animés qui a une touche rétro à la Pinball dans Sesame Street. Je vous épargne tout ce que cette nouvelle version implique dans la réalité, et vous invite à visiter le site de l’organisme auquel les recettes de la pièce sont versées, la National Indian Child Care Association.

J’ai certainement plus accroché à la deuxième sortie, Tunnel, sur laquelle le duo collabore avec le rappeur Channel Tres sur une trame deep house qui pompe par moment comme du dubstep. Un mélange explosif irrésistible que Black Eyed Peas aurait voulu être capable de sortir à une certaine époque. Les Jolies Choses est sortie en réplique au deuxième en prenant la forme d’une adorable ballade amoureuse enveloppée dans de la pop française, ensoleillée par la voix angélique de Victoria Lafaurie.

Au-delà de ces trois sorties, il y a Magic avec son esthétique de commercial de tout inclus et ses gentils organisateurs qui invitent tout le monde à continuer de croire en la magie. On reconnaît en parallèle une structure évolutive qui rappelle LCD Soundsystem, avec un pont à faire lever les bras dans les faisceaux lumineux pour revenir dans les basses bien ancrées dans le sol. On retrouve Victoria Lafaurie sur plusieurs autres pièces comme les nouvelles Melody et Artemis, ou Attrape-rêve et Peter Pan (en duo avec Antonin) que l’on a pu découvrir sur le maxi Feel Good (2020).

Il n’y a pas qu’un sentiment de chaleur estivale sur Cyclorama, il y a aussi la chaleur humaine insufflée par les voix, principalement celle de Lafaurie, qui chante les textes comme elle respire. Cette délicatesse et sensibilité fait fondre les circuits électroniques, et a pour effet de camoufler la structure séquentielle de la house et la techno dans le décor. Au lieu de visiter plusieurs destinations en caravelle, on se retrouve dans une salle de cinéma/théâtre à écouter la trame d’un film fantastique, celui de l’expérience humaine. En spectacle le 11 décembre prochain à la Place Bell.