Critiques

PoiL Ueda

PoiL Ueda

  • Dur et Doux
  • 2023
  • 31 minutes
8
Le meilleur de lca

PoiL Ueda est l’union de la formation rock d’avant-garde d’origine française nommée PoiL et de la chanteuse japonaise à la voix chaude Junko Ueda. La musique de PoiL combine l’intensité du punk à la beauté de la musique de chambre, en bifurquant parfois vers le rock progressif, le math rock et même le jazz fusion. Ueda joue également du satsuma biwa; un instrument traditionnel japonais.

La contemporanéité de la musique de PoiL se situe aux antipodes de ce que propose Junko Ueda. Puisque les contraires s’attirent, semble-t-il, les deux entités ont quand même décidé de se rassembler sous la même bannière.

Cet album éponyme s’appuie donc sur un récit épique japonais daté du 13e siècle titré Heike Monogatari. Cette narration est la description d’une bataille navale opposant le clan impérial Heike à celui de Genjii. Or, ce long format se décline en deux parties distinctes. La première, intitulée Kujô-Shakujô est un chant bouddhiste pratiqué par les moines pour éloigner les mauvais esprits. Le deuxième segment, Dan no Ra, est le compte rendu sonore de l’affrontement mentionné précédemment.

Démarrant avec un lent exercice incantatoire, propulsant les envolées vocales éternelles d’Ueda à l’avant-plan, Kujô-Shakujô s’accroît en intensité lors du deuxième mouvement. PoiL prend alors le devant de la scène avec une incursion dans l’électrorock qui se transmute subtilement, et avec adresse, en une épopée frénétique amalgamant le jazz fusion au rock progressif. Si la mixture voix-musique est étonnante dès les premières écoutes — voire dérangeante —, le rock de PoiL vient équilibrer astucieusement l’approche vocale traditionaliste d’Ueda. Lors du segment final, l’agitation musicale prend alors tout son sens, crédibilisant encore plus cette lente montée à laquelle nous avons assisté. Coup de chapeau au clavier psychédélique à la mi-parcours de ce dernier mouvement !

Pour sa part, Dan no Ra démarre avec une courte introduction de satsuma biwa joué par Ueda. Assez rapidement, le morceau dévie vers une rythmique syncopée, caractérisée par une basse martelée, remémorant ainsi le jeu de Christopher Pravdica, bassiste de la formation mastodonte Swans. Par la suite, PoiL emprunte sensiblement les mêmes sentiers math/prog/rock que ceux arpentés dans Kujô-Shakujô. Les riffs lourds font parfois place à des instants plus paisibles au cours desquels la voix d’Ueda est mise à l’avant-plan.

Ici, même si on est en territoire expérimental, la fusion de ces deux univers, de prime abord incompatible, fonctionne admirablement bien. Dans ce genre d’exercice, on peut parfois assister à des improvisations plus ou moins dirigées, souvent bâclées. Or, ce que nous propose PoiL Ueda est un véritable exercice compositionnel et collaboratif. L’exécution est sans failles, les structures « chansonnières » ont été élaborées intelligemment afin qu’Ueda y trouve vocalement son compte et les moments explosifs / effrénés qu’assène la formation française sont pleinement justifiés.

Ce disque est une réussite qui fera vivre une expérience relativement inédite aux mélomanes plus aventureux. Le rock débridé de PoiL se marie admirablement bien à la voix sinueuse et charismatique de Junko Ueda. Tout simplement.

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