Pile est un quatuor bostonnais mené par le chanteur-guitariste Rick Maguire. Le compositeur est désormais accompagné par le guitariste Chappy Hull, le bassiste Alex Molini et le batteur Kris Kuss. Avec sept albums dans sa besace créative, la formation est aujourd’hui considérée par plusieurs mélomanes comme un groupe culte. C’est en 2017, avec l’avènement de l’album A Hairshirt of Purpose, que le groupe a concrétisé son enviable réputation. Cette année-là, ce long format s’est même hissé dans la liste des meilleurs albums du média que vous lisez actuellement.

En 2019, Pile amorçait un virage plus aérien avec la sortie de Green and Gray. Deux ans plus tard, avec Songs Known Together, Alone, Maguire pigeait dans le répertoire de son véhicule sonore afin d’en faire des relectures en mode solo. Toujours la même année, il réunissait sur un même opus, titré In the Corners of a Sphere-Filled Room, des maquettes de musiques ambiantes qu’il avait lui-même conçues depuis 2018.

La semaine dernière, Pile était de retour avec un album collectif en bonne et due forme. Intitulée All Fiction, cette création est une allusion directe à cette frontière de moins en moins perceptible — et pour une partie de plus en plus importante de la population — entre la réalité basée sur des faits et la fiction, fondée trop souvent sur des croyances et des convictions.

Les textes de Maguire expriment de manière abstraite cette ambivalence entre le réel et l’imagination. Dans Lowered Rainbow, l’auteur emploie l’image du trafiquant de stupéfiants pour confondre réalité et fiction :

Death dealer enters in white glasses

Tell us all we’re right

And with a straight face, the dealer obliged

– Lowered Rainbow

Les paroles de Nude with a Suitcase, elles, auraient pu être mises en image par le cinéaste David Lynch tant ce qui est évoqué est d’un magnifique surréalisme :

Dimly lit against deep violet curtains

And pale eyes sunken against flesh

That is sure as a fog

– Nude with a Suitcase

Musicalement, Maguire s’est immergé dans les œuvres de Kate Bush, Aphex Twin et Mount Eerie afin de modifier la trajectoire créative de Pile. Sur All Fiction, le groupe nous propose une vaste majorité de chansons ambiantes, tortueuses et ponctuées de changements de rythmes inopinés. Les textures tentaculaires sont légion et au fil des écoutes, on découvre les nombreuses couches sonores qui sont subtilement superposées.

En fait, la formation troque son esthétique quelque peu rugueuse — sans l’éliminer complètement — afin de nous proposer un album d’art rock en règle. La réalisation, elle, subit le même électrochoc. Dans Gardening Hours, le pont enregistré en basse fidélité détonne comparativement au son limpide et net qui est appliqué tout au long de l’album.

Il faut quelques écoutes pour apprécier le travail d’orfèvre de Pile, mais l’effort en vaut vraiment la peine. Dans Link Arms, on pense au Radiohead de l’album Kid A et à l’écoute de Loops, c’est la référence à Protomartyr qui émerge. Dans Blood, Maguire effleure sa guitare de manière faussement erratique, tout en prenant bien soin de nous offrir une mélodie vocale bouleversante, et Poisons est l’un des morceaux parmi les plus lourds de ce All Fiction.

En toute franchise, ce disque n’est vraiment pas pour toutes les oreilles. La dynamique labyrinthique et immatérielle de ce long format pourrait rebuter les fans de la première heure, ceux qui les préféraient en format plus abrasif. Or, pour l’auteur de ces lignes, cette orientation prouve hors de tout doute que Pile refuse le surplace créatif.